3 femmes haïtiennes exposent la situation, les efforts et leur déception
A l’initiative de la députée Verts/ALE, Mme Caroline Roose, du Parlement Européen et appuyé par le CETRI (Centre Tricontinental), 3 femmes haïtiennes ont pris part, le 8 février 2022, à un Webinaire autour de la situation d’Haïti. Auparavant, les organisateurs avaient annoncé un débat avec l’ambassadeure de l’Union Européenne (UE) en Haïti, Mme Sylvie Tabesse. Mais à la fin, celle-ci s’est désisté pour seulement faire acte de présence pendant quelques minutes afin de parler des actions de l’UE en matière d’aide à Haïti, tout en précisant qu’elle ne participera pas au débat vue que l’UE est «non-partisane».
Cette décision n’a pas du tout plu aux intervenantes qui l’ont fortement souligné dans leurs interventions. Cependant elles ont profité de cette occasion pour présenter au public la difficile situation dans laquelle patauge le peuple haïtien, leurs critiques par rapport au comportement de ce qu’on appelle couramment « la Communauté internationale » et les efforts de plusieurs groupes de la société civile et du monde politique pour rechercher une solution haïtienne à la crise.
D’entrée de jeu, Mme Rosy Ducena du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), a présenté des faits montrant comment la situation des droits humains n’a cessé de se détériorer au cours des quatre dernières années. «De 2018 à 2022, 15 massacres et attaques armés ont été enregistrés dans les quartiers défavorisés au cours desquels des
centaines de personnes ont été assassinées ou sont portées disparues et où des dizaines de femmes et de filles ont été violées. ….Aucune enquête judiciaire n’a cependant abouti, en dépit du fait que des suspects dont des officiels de l’Etat aient été indexés dans la préparation et la perpétration de certains de ces actes…….Les gangs élargissent leur territoire. Les conditions de vie de la population se détériorent. Depuis juillet 2021, après l’assassinat de l’ex-président Jovenel Moise, un premier Ministre a pris les commandes du pays. Mais la situation continue de se dégrader», a déploré Mme Ducena.
Mme Ducena a souligné que dans de telles conditions, il est impossible de parler d’élections libres. Elle qualifie de fantaisiste la récente évaluation de la situation des Droits Humains en Haïti réalisée le 31 janvier dans le cadre de la 40ème session de l’Examen Périodique Universel (EPU) du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU. Sans une amélioration de la situation sécuritaire, un audit du système électoral dont celui de la carte d’identification nationale et un consensus entre les acteurs, Mme Ducena ne voit pas comment le pays pourra organiser des élections démocratiques. Elle invite l’Union Européenne « à se mettre à l’écoute du peuple haïtien et à éviter d’appuyer un processus électoral qui va mener le pays à de nouvelles crises».
Mme Vélina Charlier, de l’Organisation Petrochallenger « Nou Pa p Dòmi = Nous restons Vigilants », explique que c’est le même régime d’avant qui est encore au pouvoir après l’assassinat de M. Jovenel Moise et qui continue la même politique de corruption, d’impunité et de terreur planifiée. Elle condamne le support inconditionnel de la communauté internationale envers les dirigeants qui se sont succédés au pouvoir en Haïti. Pourtant fait-elle remarquer « aucun dialogue sérieux de cette
communauté internationale avec les organisations de la société civile haïtienne, alors qu’elle maintient une rhétorique sur l’importance de la participation citoyenne dans les affaires de son pays ». Mme Charlier a dénoncé le support donné par l’Union Européenne à M. Ariel Henry, malgré les fortes suspicions qui pèsent sur ce dernier dans l’assassinat de l’ex-président Moise. Elle condamne les efforts continues faits par la diplomatie étrangère en Haïti regroupée dans une forme de syndicat dénommé « Core Group » pour boycotter systématiquement les efforts de la société civile haïtienne pour sortir de cette situation. Elle exige le respect des luttes haïtiennes pour la démocratie, l’arrêt des hypocrisies et des appuis aux corrompus afin de permettre au peuple haïtien de trouver sa voie vers la dignité.
Mme Magalie Comeau Denis est l’une des initiatrices du mouvement citoyen pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise qui perdure en Haïti. Elle a commencé son intervention avec un extrait du poème « Dernier message » de Jacques Stephen Alexis, poète engagé et militant politique dont on fête cette année le 100ème anniversaire de naissance. Elle explique comment les régimes PHTK(Parti Haïtien Tet Kale) qui ont bénéficié au cours des dix (10) dernières années de l’appui de la
communauté internationale ont complètement détruit les institutions du pays, malgré la présence de forces onusiennes qui prétendent venir « appuyer la démocratie en Haïti ». Aujourd’hui, a-t-elle martelé : «Le pouvoir exécutif est exercé par un seul homme qui a reçu consigne du Core Group. Il n’y a pas de président, la Cour de Cassation ainsi que le Parlement sont dysfonctionnels. Aucune des institutions régaliennes ne peut assumer sa fonction. Le pays est placé sous tutelle internationale qui appuie ceux qui nous détruisent », a fait remarquer Mme Denis. Elle a expliqué les démarches entreprises depuis début 2021 par un groupe d’organisations de différents secteurs (paysans, syndicats, professionnels, églises, etc. ) parmi les plus représentatifs du pays, qui ont été rejointes par des organisations politiques et qui a débouché sur l’accord du 30 Août encore appelé « Accord Montana » pour une solution haïtienne à la crise. Elle critique le comportement de Mme Tabesse qui a refusé de débattre avec elles tout en prenant le temps de parler d’avancées de l’actuel gouvernement après avoir étalé sa débâcle. Pour Mme Denis, « c’est la manière la plus probante de faire preuve de partisannerie ».
Les débats qui ont suivi ces trois interventions ont porté sur les accords présentés par différents groupes, sur le processus ayant conduit à l’accord de Montana, sur les intérêts qui pourraient motiver le comportement des USA et du Core Group dans le contexte actuel, sur le type de relations avec Haïti que la société civile espère de la communauté internationale, etc.. Des questions ont aussi été adressées à l’Union Européenne. Mais en raison de l’absence de Mme Tabesse, la députée Roose a promis de les faire parvenir à la déléguée de l’UE en Haïti. De même la parlementaire a promis de ne pas laisser tomber Haïti et de poursuivre sa démarche pour faire connaitre la réalité vécue actuellement par le pays, comme elle l’avait fait en 2021, quand elle avait obtenu du Parlement européen une résolution sur Haïti.
Ce Webinaire sur Haïti s’est terminé par un résumé des exposés et des débats qui a été fait par M. Frédéric Thomas du CETRI, suivi des propos de remerciements des intervenantes.