Dans quelques jours, aura lieu la COP26 à Glasgow. Dans les pays occidentaux, ont repris les marches et les actions pour faire prendre en compte le changement climatique. A Bruxelles, le dimanche dimanche 10 octobre, avait lieu la première marche pour le climat depuis le confinement. Une semaine plus tard, le 17 octobre, à l’occasion de la Journée Mondiale de Refus de la Misère, un rassemblement organisé par “Rendre visible l’invisible”, regroupement d’associations de lutte contre la pauvreté, avait pour thème : “Social et climat : même combat”.
Cette prise de conscience du lien entre social et environnement a fait son chemin depuis des années dans d’autres lieux du globe. En Haïti, où l’injustice sociale et la destruction de l’environnement sont extrêmes, l’association GAFE, Groupement Francophone pour l’Environnement, milite et travaille dans ce sens depuis 18 ans[1]. Le GAFE s’est engagé avec le mouvement citoyen Alternatiba, né en France en 2013, qui s’est développé dans tout Haïti à travers une série de groupes locaux. Dans un contexte particulièrement difficile, un mouvement dynamique et original est né, ancré dans l’engagement citoyen et une approche territoriale du développement. Le mouvement s’est fait connaître dans le pays par exemple par l’organisation de rencontres nationales, les Villages Alternatiba, ou par les campagnes pour le bannissement du styrofoam (le polystyrène) qui cause une pollution très grave dans le pays. Il suffit pour s’en convaincre de regarder autour de soi, où qu’on soit, les monceaux de « boites manger » jetées après avoir contenu les repas qu’on peut acheter à chaque coin de rue.
La dernière initiative du GAFE et du Mouvement Alternatiba-Haïti , présentée lors d’une conférence de presse le 8 septembre, concerne un Pacte pour la Transition Ecologique et Sociale en Haïti.[2] Après plusieurs années de travail, après avoir surmonté bien des obstacles, la version française est sortie et sous peu la version créole sera disponible. L’élaboration du Pacte s’est déroulée dans les dix départements du pays, elle a impliqué des communautés locales dans les campagnes et dans les villes, spécialement dans les quartiers populaires. En plus du travail de ces groupes locaux, 789 personnes ont été rencontrées lors de sept forums et trois ateliers citoyens animés par le GAFE entre 2019 et 2020, soit autant de temps de rencontres, d’échanges et de mûrissement de propositions.
Fruit de l’engagement citoyen, « le Pacte pour la Transition Écologique et Sociale » vise à étendre cette démarche citoyenne et à inciter les Haïtiens et Haïtiennes à revendiquer la place qui leur revient dans les espaces publics. Face à la dégradation constante de la situation du pays, les membres d’Alternatiba ont fait l’expérience qu’il restait possible de se rassembler et de prendre des initiatives. Ils refusent de baisser les bras.
Le Pacte a aussi été pensé dans la perspective d’élections qui devront être tenues dès que la situation du pays le permettra. Il s’agira de ne pas manquer ce rendez-vous, de s’y préparer dès maintenant par la réflexion et l’actions communes et de donner le temps venu aux électeurs des outils pour interpeller les candidats.
On retrouve dans le Pacte les engagements qui ont animé le GAFE depuis sa naissance : le développement se fait AVEC la population et non POUR elle ; la lutte pour le climat et l’environnement nécessite un mouvement citoyen ; l’approche territoriale est le lieu d’expérimentation d’une démocratie locale, impliquant tous les acteurs locaux : pouvoirs et services publics, société civile, entreprises, écoles… Le GAFE ne parle pas en l’air : il s’appuie sur son expérience d’accompagnement de plusieurs expériences de développement local dans divers lieux d’Haïti et sur les enseignements recueillis à l’occasion des multiples formations organisées à destination de publics divers (membres d’Alternatiba bien sûr, mais aussi fonctionnaires et responsables publics aux niveaux national, provincial ou communal). Par exemple, le GAFE mène anime actuellement un programme expérimental de gestion des déchets dans onze écoles de Kenskoff. Autre exemple : chaque année, le 10 juillet, tout le mouvement Alternatiba s’implique dans une « Journée nationale de mobilisation citoyenne contre le styrofoam en Haïti »
Le Pacte se présente comme un ensemble de fiches abordant divers thèmes liés à l’environnement. Pour chaque fiche, une analyse du contexte débouche sur des propositions pour construire des territoires plus écologiques et plus justes. Chaque fois est envisagé le rôle à jouer par les divers acteurs, sans jamais oublier les acteurs publics. Ces fiches sont articulées autour de cinq axes :
- Climat et biodiversité : limitation des émissions de gaz à effet de serre, protection des espèces et des écosystèmes naturels
- Justice sociale et solidarités : égalité femmes-hommes, soutien aux personnes les plus vulnérables : handicapés, orphelins, seniors…
- Démocratie et citoyenneté : incitation à la participation citoyenne dans la gestion du territoire
- Administration publique : mesures pour un service public non discriminant et de qualité
- Économie : économie circulaire, agriculture responsable, circuits courts…
Le document apporte une réflexion et des recommandations sur le rôle des divers acteurs en mettant bien en avant celui des institutions publiques. Depuis son origine, le GAFE voit l’avenir du pays dans l’engagement citoyen, mais aussi dans la responsabilisation des instances publiques, spécialement celles mises en place dans le cadre de la décentralisation. Sans cela, aucune politique publique ambitieuse n’est possible. Au fil des des expérimentations et des formations d’acteurs publics, agents de l’État ou des diverses collectivités, il a rencontré de nombreuses personnes décidées à soutenir leur pays. Souvent elles sont peu soutenues et les moyens leur manquent, mais elles arrivent pourtant à agir avec beaucoup de créativité. Le Pacte soutient cet engagement. S’il constate le rôle de suppléance que jouent des Ongs, des églises ou autres face à la démission des autorités publiques, il ne se satisfait de cette situation, car elle maintient le pays dans l’urgence, la dépendance et l’éparpillement des initiatives. Par ailleurs, est formulée l’exigence de la professionnalisation d’une série de métiers, notamment dans le secteur « social ». Ceci est complémentaire de l’engagement citoyen, l’un renforçant l’autre.
Même s’il s’adresse d’abord à des acteurs haïtiens pour les encourager à prendre leurs responsabilités, le Pacte amène aussi à une réflexion sur le rôles des acteurs internationaux, qu’ils soient acteurs publics ou organisations privées. Il questionne les modèles de solidarité en exprimant plusieurs attentes : avoir une approche large et globale (“transition écologique ET sociale”), sortir du cycle de l’urgence et de la dépendance en gardant une vision d’avenir et en s’appuyant sur les forces du pays, veiller à ce que les initiatives privées n’exonèrent pas les institutions publiques de leurs responsabilités, mais aident au contraire à les renforcer.
Dès avant la publication, le GAFE a lancé un cycle de formation à la construction et l’expression citoyenne, à destination d’une sélection de 84 jeunes de 6 communes (Belladère, Mirebalais, Verrettes, Kenscoff, Cité-Soleil et Carrefour), en sorte qu’ils soient aptes à porter le Pacte. Le lancement a eu lieu en février 2021 en présence notamment d’un représentant de l’UE et deux sessions ont pu être organisées en avril et juillet. Depuis la publication, d’autres sessions de formation ont été réalisées avec des jeunes dans diverses localités d’Haïti. Le climat de crise permanente, l’insécurité galopante et l’incertitude du lendemain n’empêchent pas le travail de fourmi de GAFE et d’Alternatiba, qui aborde des questions vitales pour le pays, mais mises à l’arrière plan par les soubresauts quasi quotidien de l’actualité.
Ainsi, tout comme la population haïtienne, continue au jour le jour à « chercher la vie », le travail des groupes de base et d’une série d’organisations solidaires se poursuit en dépit des écueils. Le GAFE et le mouvement Alternatiba en sont un exemple. En janvier 2021, David Tilus, directeur exécutif du GAFE, s’exprimait ainsi : « Nous ne voulons plus de maître, ni noir, ni blanc, ni jaune, ni bleu. Nous voulons la paix et la justice pour tous. C’est à nous de construire un Pacte Social, pas de recopier un modèle usé et crasseux. C’est à nous, citoyen-nes lucides, convaincu-es et déterminé-es de changer la donne. »[3]
[1] http://www.gafe-haiti.org/
[2]http://www.gafe-haiti.org/IMG/pdf/pacte_v6_gafe_01062021_fd-2.pdf
[3]https://www.gafe-haiti.org/spip.php?article168&var_recherche=esclaves