La sécurité est la principale préoccupation
Il y a six ans, les Haïtiens étaient surtout préoccupés par la situation économique. Dans un sondage, le manque de sécurité a reçu moins de 10 % des voix. Mais selon une enquête récente, la violence des gangs, les enlèvements et les meurtres – en bref, la sécurité – tiennent désormais totalement les habitants sous leur emprise. Tout le reste est secondaire.
En fait, le rapport de l’OCID (une alliance d’organisations de défense des droits de l’homme), paru à la mi-janvier, confirme ce que tout le monde pouvait déjà prédire. De tous les problèmes auxquels Haïti est confronté, la violence, les enlèvements et les meurtres ont le plus grand impact sur la société. Le gouvernement a perdu prise et des gangs armés contrôlent des parties de plus en plus grandes du pays. Initialement confinés à certaines quartiers populaires autour de la capitale Port-au-Prince, ils contrôlent désormais également d’importantes voies d’accès dans le nord du pays. Depuis juin dernier, il est pratiquement impossible de se rendre par la route de Port-au-Prince à la ville côtière des Cayes, sur la péninsule sud. Cette situation s’est aggravée après le violent tremblement de terre du mois d’août et a fortement entravé l’effort d’aide. Mais de nombreux autres endroits ne peuvent désormais être atteints en toute sécurité que par voie aérienne.
L’OCID ( « Observatoire citoyen pour l’institutionnalisation de la démocratie ») a sondé pour la première fois en 2015 l’opinion des Haïtiens sur un large éventail de questions5. À l’époque, la principale préoccupation de la majorité de la population était l’insécurité économique, le manque de travail et de revenus et la pauvreté qui en découle. Six ans plus tard, en octobre 2021, l’OCID a refait le point. Les résultats sont inquiétants. Ils montrent, entre autres, que quatre Haïtiens sur cinq émigreraient si l’occasion se présentait. Ce désir est le plus fort chez les jeunes âgés de vingt à vingt-quatre ans.
« Les politiciens mentent pour être élus »
La confiance dans la politique et la démocratie est tombée à un niveau historiquement bas. Moins de 50 % des sondés disent qu’ils voteront aux nouvelles élections, alors qu’il y a six ans, 64 % avaient l’intention de le faire. Un tiers des Haïtiens interrogés ont déclaré qu’ils ne voteraient en aucun cas. Cela n’est pas surprenant, compte tenu des réponses aux autres questions. Par exemple, 71 % sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle les politiciens mentent pour se faire élire, et près de 50 % sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle les politiciens « ne se soucient pas des gens comme moi ». Cependant, la confiance ne fait pas seulement défaut vis-à-vis des hommes politiques. Les réponses par rapport à différents secteurs de la société, tels que les églises, les entreprises, les organisations non gouvernementales ou les agences gouvernementales, comme la police, ne sont pas différentes : peu ou pas de confiance.
L’OCID observe que la population, en proie à une insécurité dévastatrice, vit celle-ci comme le problème qui transcende tous les autres. Il y a six ans, l’insécurité n’était encore une préoccupation majeure que pour 9 % des personnes interrogées ; elle l’est aujourd’hui pour 62 %. Tout le reste, le tremblement de terre, la pénurie alimentaire (selon les calculs de Reliefweb, 46 % des Haïtiens n’auront pas assez de nourriture au cours des six premiers mois de 2022), le manque de carburant et d’électricité, l’impasse politique dans laquelle se trouve le premier ministre, Ariel Henry, qui fait office de président après l’assassinat du président précédent, Jovenel Moïse, en juillet 2021, tout cela ne fait pas le poids comparé à la violence et à l’insécurité.
Le bonheur ailleurs
L’OCID se demande comment restaurer la confiance de la population dans les institutions politiques, telles que le parlement et le gouvernement. La première recommandation est que le gouvernement de facto doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour rétablir la sécurité, protéger les citoyens et créer un climat permettant d’organiser des élections. C’est précisément là que réside le problème. Le gouvernement actuel, si on peut encore l’appeler ainsi, est incapable de s’attaquer au problème des gangs.
Les Haïtiens ne subissent pas tout cela sans en souffrir. Certains d’entre eux choisissent de chercher fortune ailleurs. Quatre-vingt pour cent des gens rêvent d’une vie à l’étranger, mais seule une petite partie d’entre eux franchit le pas : par voie terrestre vers la République dominicaine, ou par le dangereux voyage en bateau vers la côte des États-Unis.
Accord de Montana
D’autres Haïtiens se battent pacifiquement pour une nouvelle façon de faire de la politique. Ils se sont unis l’année dernière dans ce qui est désormais connu sous le nom d’accord de Montana, du nom de l’hôtel où des plans concrets ont été élaborés l’été dernier. Leur proposition est une période de transition qui commence avec la nomination d’un gouvernement provisoire. Les 42 membres de l’Accord de Montana ont élu le dimanche 30 janvier Fritz Alphonse Jean, ancien gouverneur de la Banque centrale, comme président de transition. Et l’ancien sénateur Steven Benoît a été nommé premier ministre du gouvernement de transition. La première tâche du gouvernement de transition est de faire en sorte que les gens puissent à nouveau marcher dans les rues en toute sécurité. Ce n’est qu’alors qu’il sera possible de parler d’élections. Les forces de police devront non seulement être mieux armées, mais il faudra aussi enquêter sur leurs liens avec les gangs. Le gouvernement de transition devra également couper le flux d’armes et de munitions à destination des gangs en renforçant les contrôles aux frontières et en contrôlant les voies d’accès pour les livraisons d’armes vers les zones contrôlées par les gangs. Il reste à voir par qui ce président et ce premier ministre seront reconnus dans le pays et à l’étranger et s’ils auront suffisamment de pouvoir et d’autorité pour agir réellement.
Récemment, le groupe de l’Accord de Montana a reçu l’appui de trois cents Haïtiens aux États-Unis. Parmi eux figurent des personnalités de premier plan, comme Michelle Montas, la veuve du journaliste Jean Dominique, assassiné en avril 2000.
Il est à espérer que cet accord rassemble un large éventail de la société haïtienne : partis politiques, syndicats, organisations paysannes, Conférence épiscopale haïtienne, Fédération des églises protestantes, organisations de femmes et de défense des droits de l’homme. Plus de 990 Haïtiens, tous au nom d’organisations et de mouvements représentant des millions d’Haïtiens, ont déjà signé l’accord. Un seul parti est exclu de la participation : le PHTK, le parti du président assassiné Jovenel Moïse et de son prédécesseur Michel Martelly, ainsi que de l’actuel Premier ministre et faisant fonction de président Ariel Henry.
Ariel Henry n’est pas seulement un représentant du parti que de nombreux Haïtiens tiennent pour responsable de la crise, il n’a pas non plus été élu ou nommé de la manière prévue par la constitution. Le président Moïse l’avait nommé au poste de Premier ministre quelques jours avant qu’il ne soit lui-même assassiné. L’approbation de cette nomination par le Parlement n’a jamais eu lieu. La majorité de la population haïtienne ne le considère donc pas comme le chef légitime du gouvernement.
Pour sa part, le Core Group a opté pour Ariel Henry
Mais la communauté internationale, en particulier les pays et organisations réunis au sein du « Core Group » (formé par les ambassadeurs d’Allemagne, de France, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des États-Unis et de l’Union européenne, ainsi que des représentants des Nations unies et de l’Organisation des États américains), pense différemment. Pour eux, Henry est la personne qui se rapproche le plus d’un chef d’État légitime. Cela fait de lui leur premier interlocuteur et l’homme avec lequel des accords peuvent être conclus sur la manière dont Haïti doit procéder et sur le rôle que les pays étrangers peuvent jouer à cet égard.
Le 21 janvier, le Canada, l’un des membres du Core Group, a organisé une réunion en ligne sur la crise en Haïti. Outre les membres du Core Group, des représentants du Mexique et d’autres pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont participé à la consultation. Ariel Henry a participé au nom de Haïti. Les représentants de l’opposition ou de la société civile, comme l’Accord de Montana, n’étaient pas présents. Plusieurs pays ont promis un soutien (financier). Le Premier ministre canadien, M. Trudeau, a promis 50 millions de dollars canadiens supplémentaires pour les soins de santé, la sécurité et les infrastructures, tandis que le secrétaire d’État adjoint, M. Sherman, a assuré au nom des États-Unis que son pays continuerait à soutenir Haïti. L’insécurité et l’absence d’élections ont été les principaux sujets de discussion. Le premier ministre Henry a annoncé qu’il resterait en poste jusqu’à ce que les élections aient lieu.
7 février 2022 : une date importante
Le fait qu’Henry n’ait pas l’intention de partir (une date pour les élections n’a pas été annoncée, sans compter que les élections sont impossibles dans la situation actuelle) entraîne une montée des tensions en Haïti. Nous serons bientôt le 7 février, une date importante pour les Haïtiens : le 7 février 1986, le dictateur Jean-Claude Duvalier (Baby Doc) a été expulsé du pays, mettant fin à une dictature brutale de près de 30 ans. Depuis lors, le 7 février est traditionnellement la date à laquelle un nouveau président est installé. Le mandat de Jovenel Moïse, assassiné, expirait, selon lui-même, le 7 février 2022, alors que selon de nombreux Haïtiens, son mandat était déjà terminé le 7 février 2021. Et maintenant Henry resterait en tant que « président » non élu …..
L’opposition n’est pas la seule à s’y opposer. Un groupe d’anciens ministres ayant servi dans le gouvernement de Moïse estime également que M. Henry devrait démissionner le 7 février. Leurs considérations sont que Moïse aurait démissionné le jour même et, peut-être plus important encore, qu’Henry n’a rien fait ces derniers mois pour améliorer la situation dramatique dans laquelle se trouve le pays, le manque de sécurité étant en tête de liste.
Pendant ce temps, les violences et les meurtres se poursuivent sans relâche, et l’on entend parfois des voix qui pensent à un soutien de l’étranger. Non seulement un soutien financier, mais peut-être aussi un soutien physique, sous la forme d’une mission visant à aider la police haïtienne à endiguer la violence. Mais une intervention, par qui que ce soit, est très sensible en Haïti, étant donné les expériences négatives du passé récent. Et non seulement Haïti, mais aussi les pays étrangers hésitent, avec en tête des débâcles comme l’Afghanistan.
Et les Haïtiens ? Ils continuent à rêver d’un avenir ailleurs et passent parfois de la parole aux actes dangereux. L’année dernière, le nombre de réfugiés haïtiens sauvés en mer a augmenté de façon explosive. En 2020, 418 Haïtiens ont été sauvés en mer par les garde-côtes américains, dans les neuf premiers mois de 2021, ils étaient 1527, et dans le dernier trimestre de l’année dernière, 802.
Cet article a paru plus tôt en néerlandais sur le site de La Chispa (www.lachispa.nl)