L´année 2015 a été surtout marquée par les élections contestées et crises postélectorales qui menacent de plus en plus les objectifs visés par l´accord de Cotonou, tels que la sécurité et la stabilité politique étant des conditions préalables au développement. Le dialogue politique, prévu par l’article 8 de cet accord, est l´instrument clef permettant aux différents acteurs de la coopération de contribuer « à la paix, à la sécurité et à la stabilité, et à promouvoir un environnement politique stable et démocratique ». Jusqu´á quel point le gouvernement haïtien, l´UE et les acteurs de la société civile saisissent-ils vraiment cette opportunité ?
Mise en œuvre du dialogue politique
Tout d’abord il faut souligner le retard du lancement officiel de ce dialogue. Malgré ce dernier constitue un pilier essentiel du partenariat et en dépit de la forte représentation de l´UE en Haïti, le processus a été lancé seulement en décembre 2013, mais sans suite cohérente et conséquente. Alors que l’accord a été signé depuis 2000.
Incapable de mener un dialogue effectif, l´UE appuie et finance l´initiative du World Leadership Alliance-Club de Madrid, institution indépendante constituée de plusieurs anciens chefs d´États et premiers ministres. Bien que celle-ci a pour la même mission de promouvoir un dialogue inclusif global dans le but de vaincre les obstacles structurels à la réforme démocratique en Haïti, son initiative remplace le dialogue politique entre Haïti et l´UE, tel que le prévoit l´accord. Etant aussi une institution indépendante, elle n´agit en aucun cas au nom de l´UE. Ceci n´est-il pas un signe de l´incapacité de l´EU de mener un dialogue politique d´une seule voix et cohérent, compte tenu des différents intérêts des états membres en Haïti ? Ensuite il faut admettre que cette manière de procéder affaiblit la visibilité politique ainsi que le leadership et la mission diplomatique de l´UE en Haïti. Sans doute, ceci est lié au modèle d´engagement de l´UE, exprimé plutôt dans la ligne d´un bailleur de fonds qu´un corps diplomatique.
Le dialogue politique : instrument conjoncturel et stratégique
Le dialogue politique se révèle l´instrument conjoncturel le plus important pour Haïti, compte tenus des difficultés et maux que soufre la société. Il y a plusieurs éléments qui justifient les raisons pour lesquelles il doit être une priorité dans les relations entre Haïti et l´UE.
La pauvreté d´Haïti est tout d´abord une conséquence des problèmes et crises politiques constantes et chroniques. La situation postélectorale actuelle est bien un exemple. Un des aspects positifs de ce dialogue est l´inclusion de tous les acteurs de la société civile qui représentent autant de défis opérationnels que conjoncturels et institutionnels pour la société. Considérant les nombreuses difficultés du pays, le dialogue entre l´EU, le gouvernement haïtien et la société civile pourrait aider à discuter les éléments essentiels qui constituent d´une part un ensemble de principes et de valeurs politiques de bases de l´accord et d´autre part des défis pour la société haïtienne, tels que : la bonne gouvernance, lutte contre la corruption, la stabilité politique, le respect de l´État de droit et tous les autres sujets ayant un impact sur le développement du pays. Cet aspect participatif est extrêmement important pour que le développement redevienne un thème de la réflexion politique locale et nationale et ne soit plus considéré comme une question technocratique.
Les secteurs de la société civile doivent être des véritables acteurs de la coopération et non des observateurs, car les organisations locales jouent un rôle important dans le processus de renforcement de l´État. A cet effet, la société civile joue un rôle de contrôle de l’action publique et institutionnelle. En outre, l´inclusion réelle des organisations locales dans le processus constitue un facteur stratégique de développement. La raison est simple: les actions de ces organisations touchent la quasi-totalité des secteurs de la vie nationale, tels que l’éducation formelle et informelle, la santé, l’environnement, la promotion agricole, l’artisanat, l’intermédiation sociale, la gestion des conflits, l’aide juridique, la défense des droits humains, la bonne gouvernance, etc. L’importance de leurs domaines d’intervention font qu’elles complètent considérablement l’action de l’Etat qu’elles suppléent parfois. Leur exclusion dans le processus de développent est néfaste pour toute politique stratégique de développement national.
Conclusion
En dépit des efforts rhétoriques, l´absence du dialogue politique avec les organisations de la société civile est réelle. Les quelques rencontres entre les organisations locales avec l´UE étaient courtes et ont été arrangées au dernier moment. Elles n’ont pas été l’occasion de s’accorder sur un mandat ou une procédure. En outre, seule une délégation réduite et non représentative des organisations de la société civile locales a pu y participer. Aucune consultation sérieuse à propos de la politique de développement n’a eu lieu. Inévitablement, cette façon de procéder est frustrante pour les organisations locales qui ne participent pas aux décisions politiques et programmes de développement du pays. Ensuite cela contredit les engagements de l’UE en termes de consultation et de partenariat.
En résumé, le dialogue politique, comme le prévoit l´accord de Cotonou est inexistant en Haïti. Nous parlons de cet accord qui dépasse la simple conditionnalité politique, mais conçu comme un instrument stratégique permettant de renforcer le partenariat et d’atteindre les objectifs de l’Accord. Ce dialogue, comme élément positif et essentiel du partenariat, n´est pas exploité jusqu’à présent et ses modalités ont besoin d’être clarifiées et connues. En outre, il serait un bon instrument afin que l´UE puisse enfin s´affirmer et mieux définir sa qualité d´acteur en Haïti. Mais son manque d´implication active dans ce domaine réduit cette possibilité d´affirmer le caractère normatif de son pouvoir.
L´auteur, Jean Marcelson Abraham, est haïtien, licencié en philosophie et a une maitrise en communication interculturelle et études européennes.
Plus de détails: Jean Marcelson Abraham, Die Entwicklungszusammenarbeit der Europäischen Union mit Haiti. Die Perzeption der EU als internationaler Akteur und fehlerhafte Mechanismen der internationalen Zusammenarbeit, wvb, Berlin, 2015