De plus en plus en Haïti, l’on questionne le rôle des ONG dans le développement du pays. Elles interviennent dans plusieurs domaines : dans l’humanitaire comme dans le « développement ». Mais l’aggravation de la pauvreté dans un contexte d’augmentation de la présence des ONG et de désengagement grandissant de l’Etat poussent de nombreux secteurs à se poser des questions sur l’action des ONG, ou plutôt sur comment elles peuvent agir pour que leurs contributions soient plus efficaces.
C’est dans ce contexte, qu’à l’initiative de la Commission Agriculture/Environnement(CAEC) de CLIO[1] une activité de réflexion/débats autour du rôle des ONG dans le renforcement de l’agriculture paysanne en Haïti a été réalisée le 16 mars 2018 au local de l’ONG CRESFED. Pour la discussion, les organisateurs de l’activité ont utilisé les propositions d’un groupe d’organisations haïtiennes qui plaident en faveur d’une politique agricole visant le renforcement de l’agriculture familiale paysanne.
Le contexte s’y prêtait bien : l’Union Européenne a lancé un appel à propositions pour des projets visant l’amélioration de la sécurité alimentaire et la nutrition des populations du Nord’Ouest et du Haut Artibonite. Des ONG européennes et haïtiennes étaient en train de préparer des réponses à cet appel. C’était un moment opportun de débattre de la question de l’agriculture familiale paysanne avec les ONG, car malgré ses difficultés, le système agricole paysan fournit encore plus de 40% de la nourriture consommée dans le pays et contribue à hauteur de 25% au PIB.
Une trentaine de personnes ont répondu à l’appel, la plupart des professionnels des ONG, des cadres de l’Etat travaillant dans le secteur agricole et quelques paysans. Quatre intervenants ont pris la parole en la circonstance : Rosanie Moise de Véterimed. Elle a présenté les propositions des organisations haitiennes en faveur de l’agriculture paysanne et exprimé ses souhaits de voir plusieurs acteurs, dont les ONG, travailler dans le sens de cette proposition. La souveraineté/sécurité alimentaire en Haïti et une bonne nutrition ne seront pas garanties sans un renforcement de l’agriculture paysanne a-t-elle dit en substance. De son côté, Chavannes Jean Baptiste, du Mouvement des Paysans de Papaye (MPP) a averti que deux systèmes agricoles sont en confrontation aujourd’hui dans le monde et Haiti n’en est pas épargné : l’agriculture paysanne en faveur de laquelle milite son organisation et l’agriculture industrielle promue par les grandes entreprises capitalistes. « L’agriculture paysanne est une agriculture de la vie qui repose sur une vision qui considère la terre comme une mère nourricière dont on doit prendre soin, qui respecte la santé des peuples, qui pense aux générations futures, qui favorise l’autonomie paysanne et qui se réalise dans une ambiance sociale de convivialité » a- t- il expliqué. Des caractéristiques que l’on ne retrouve nullement dans l’agriculture industrielle dont le seul objectif c’est de faire d’abord des profits.
Chavannes a cité tout un ensemble de défis auxquels est confrontée l’agriculture paysanne haitienne mais aussi des opportunités qui peuvent l’aider à se relever. Il estime que toute organisation qui se dit « solidaire » d’Haïti devrait inscrire leurs actions dans une dynamique de renforcement de l’agriculture familiale paysanne pour faire face à ces défis et profiter des opportunités.
Véna Jean de l’organisation « Tèt Kole ti Peyizan » a témoigné de certaines expériences négatives avec des ONG que son organisation a observées dans plusieurs coins du pays. Elle a cité l’exemple de semences de haricots qui ont été distribuées et qui ne pouvaient plus se reproduire, enlevant ainsi aux paysans leur autonomie en matière de préparation des semences. « C’est une aide mortelle, a-t-elle dit, car donner de telles semences aux agriculteurs les condamne à la dépendance perpétuelle envers les semences importées ». Elle a aussi parlé de certains arbres qui ont été utilisés dans des programmes de reboisement qui entrent carrément en compétition avec les espaces agricoles des paysans. Elle en a profité pour encourager les ONG qui disposent de moyens à choisir de préférence d’écouter et d’accompagner les paysans plutôt que de leur imposer des solutions toutes faites, qui viennent compliquer leurs problèmes au lieu de les aider à les résoudre.
Le programme agricole que l’ONG suisse Helvetas se prépare à développer dans le Grand Sud, sur une période de douze ans, avec le GRAMIR et l’AVSF, semble vouloir s’orienter vers cette direction prônée par les paysans. En effet, ce programme tel que présenté à la conférence par M. Seth Pierre de Helvetas, se propose d’accompagner les organisations paysannes du grand sud afin qu’elles puissent mieux s’organiser en vue d’influencer les décisions tant des dirigeants que des ONG dans le domaine agricole. Il vise aussi la promotion des savoir et des innovations pour faire face aux problèmes, une plus grande participation des femmes dans l’agriculture et la valorisation de leur apport dans le secteur.
Dans les débats, l’assistance composée en grande partie de gens qui connaissent bien le milieu rural haïtien a posé des questions relatives aux propositions pour aborder les problèmes fonciers, dont l’émiettement à l’infini des terres agricoles. Certains ont parlé du problème de la collaboration des ONG avec l’Etat dont les interventions et politiques ne sont pas toujours en faveur des paysans. D’autres ont voulu savoir quels sont les pas que le groupe de plaidoyer pour le renforcement de l’agriculture paysanne compte faire pour promouvoir un vaste mouvement agro-écologique dans le pays afin de sauver les terres qui s’en vont vers la mer. Autant de questions qui ont alimenté un beau débat qui s’est déroulé sur plus de deux heures de temps.
Colette Lespinasse
Consultante de la COEH
[1] Cadre de Liaison Inter-organisations-Haïti),