Malgré la grave crise que connait Haïti, les Haïtiens et Haïtiennes de l’intérieur comme de l’extérieur ont entamé l’année 2025 avec le cœur rempli d’espoir en un avenir meilleur. A défaut de pouvoir organiser de grandes fêtes, ici et là, des groupes, des familles se sont réunis pour accueillir avec optimisme la nouvelle année. Le premier janvier, anniversaire de l’indépendance du pays, la soupe Joumou encore appelée, Soupe de la Liberté, a été partagée, avec partout un rappel fort de son symbolisme : la solidarité, le partage, le droit à l’alimentation pour tous et toutes, tel que prônée par Claire Heureuse, cette femme, épouse du fondateur de la Nation, qui avait proposé ce plat spécial pour célébrer le premier jour de l’Indépendance. Pour l’occasion, des groupes se sont mis ensemble, ont cotisé, ont collaboré pour préparer et partager cette soupe dans des camps de déplacés, dans des prisons, sur les quartiers, etc. Des organisations solidaires de Porto Rico, de la République Dominicaine, du Guatemala, du Brésil, se sont même réunies en ligne avec des amis d’Haïti pour préparer la soupe avec tous les ingrédients requis, une façon aussi de s’approprier de la recette et du symbolisme de ce repas et communier avec le peuple haïtien. Cet anniversaire a été pour les Haïtiens et Haïtiennes une occasion spéciale pour se souvenir qu’ils ont un pays à défendre, à protéger et qu’il ne doit pas disparaitre.
Mais dans les cœurs, 2025 a aussi été accueilli avec beaucoup de craintes, car l’année 2024 s’est terminée comme elle avait commencé avec chaque jour de très mauvaises et tristes nouvelles de massacres, de pillages, de routes bloquées, de prise de contrôle de nouveaux espaces du territoire par les gangs, de migration forcée, de vagues importantes de déplacés internes, de déportations, etc…. Le 24 décembre, juste quelques jours avant la fin de l’année, deux (2) journalistes et un policier ont perdu la vie et plusieurs autres personnes sont sorties blessées quand des bandits ont fait feu sur eux à l’hôpital de l’Université d’État, principal centre de santé du pays, fermé depuis plusieurs mois par les gangs, que le ministre de la Santé avait annoncé qu’il voulait rouvrir. Tout le monde était bien content de la fin de cette année macabre dont le bilan est très lourd. Selon les chiffres communiqués par plusieurs organisations internationales, 5,600 assassinats à cause des violences des gangs ont été enregistrés, plus d’un million de personnes sont désormais des déplacés, autour de six (6) millions de gens vivent en insécurité alimentaire grave, le taux de croissance est négatif (-4.2) pour la 5ème année consécutive, le principal aéroport reste fermé bloquant ainsi les échanges aériens avec d’autres pays, etc.
Ces indicateurs témoignent malheureusement d’un bilan très négatif pour le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), cette structure collégiale mise en place par plusieurs regroupements politiques pour succéder à l’ex-Premier Ministre Ariel Henry, après sa chute à la fin de février 2024. Ce conseil de neuf (9) membres, dont l’arrivée au pouvoir avait suscité beaucoup d’espoir, n’a malheureusement pas tenu sa promesse. Très vite, il s’est embourbé dans des affaires douteuses et dans des rivalités insignifiantes qui l’empêchent de jouer convenablement son rôle. De plus en plus, le CPT est décrié et certains courants déçus de l’expérience, demandent haut et fort sa démission en bloc ou une réforme en profondeur avec de nouvelles têtes ou, le cas échéant, avec un juge de la Cour de cassation pour diriger le pays.
2024 a été aussi une année où de nombreux membres de la population haïtienne ont été basculés d’un endroit à un autre pour échapper à la fureur des gangs. Plusieurs se sont réfugiés dans des camps de fortune, dans les provinces, mais aussi à l’étranger comme aux Etats-Unis. Plusieurs aussi ont été expulsés par les pays où ils pensaient trouver refuge, comme la République Dominicaine, malgré la dureté de la situation en Haïti. Le retour au pouvoir aux USA de M. Donald Trump et sa politique anti-migrants annoncée en grande pompe durant toute sa campagne électorale, donne des sueurs froides à des gens de toute catégorie sociale qui pensaient avoir trouvé aux Etats-Unis un endroit plus sûr pour passer ce mauvais cap.
Malgré tout, l’espoir est là chez de nombreux Haïtiens et Haïtiennes, même si l’on ne sait pas encore d’où viendra la lumière. Quelques initiatives à la fin de l’année terminée, dont la foire de l’artisanat qui a mis en relief les efforts de plusieurs artisans qui continuent de produire de très belles œuvres, dans un contexte extrêmement difficile, sont très encourageantes. Les 14 et 15 décembre 2024, ces rudes travailleurs, ont répondu à leur rendez-vous annuel intitulé « Artisanat en fête », où plus de 200 artisans ont gratifié le public de très beaux articles d’art qu’ils ont faits avec leurs mains, leur imagination. Ils ont su utiliser avec brio des choses existant dans le pays qu’ils ont transformées pour plaire à nos yeux ou pour nous être utiles. Le public a répondu en grand nombre à l’événement et les organisateurs en étaient enchantés. « Pour nous, il y a un petit feu encore allumé dans le pays. Cette braise, c’est la flamme de la créativité, l’envie de vivre, le désir de rencontrer d’autres personnes, qui animent beaucoup de gens. Même sous des pluies de balles, plusieurs des artisans qui ont exposé ici leurs produits ont bravé des dangers pour venir à la foire. Ils ont fait le déplacement, certains venant de très loin, parce que cette flamme brûle en eux et nous les organisateurs, nous ne voulons pas qu’elle s’éteigne…», nous a confié Frantz Duval du journal Le Nouvelliste, une des institutions organisatrices de l’événement.
D’un autre côté, quelques événements réalisés tout au cours des premières semaines de janvier 2025 ont apporté un regain d’espoir. C’est le cas pour l’inauguration, le 17 janvier du port de Saint Louis du Sud, une initiative de plusieurs organisations de la société civile de cette région qui a mené des actions de plaidoyer durant plus de trente (30) années et qui, finalement ont trouvé une réponse favorable auprès du gouvernement. Selon de nombreux analystes, l’ouverture de ce port peut grandement contribuer au développement du Grand Sud. Le rapprochement de la Colombie initié avec la visite, le 22 janvier, du président Gustavo Petro, représente aussi un autre signe vers des coopérations fructueuses avec des pays du Sud qui peuvent stimuler le développement d’Haïti.
Sur le plan sécuritaire, au début de l’année, les lignes ont bougé un peu, même si rien n’a encore changé. Un secrétaire d’État à la Sécurité Publique a été nommé et est très bien accueilli dans l’opinion publique. Un nouveau contingent de policiers du Kenya et un autre du Guatemala sont arrivés pour renforcer l’effectif de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS), portant ainsi le nombre de membres de cette mission à environ 700 membres. De son côté, le Conseil de Sécurité qui s’est réuni sur le dossier d’Haïti continue de rechercher des alliés pour changer cette mission en une force internationale de Maintien de la Paix.
Et puis, 2025 ramène le 200ème anniversaire de la publication, par le roi français Charles X de l’ordonnance exigeant Haïti en avril 1825, à lui verser une forte indemnité pour les colons esclavagistes qui « auraient perdu des biens » durant la guerre émancipatrice contre l’esclavage et pour son indépendance. Le paiement forcé de cette rançon exigée manu militari avec 14 bateaux de guerre à une jeune nation fraichement sortie de plus de 300 ans d’esclavage, a hypothéqué le développement économique et social d’Haïti dès sa création. Aujourd’hui, dans le cadre de ce mouvement international de reconnaissance des torts de l’esclavage, de nombreuses voix s’élèvent en Haïti et ailleurs pour réclamer de la France le remboursement de cette rançon. L’année 2025 est proclamée en Haïti « ANNÉE DE RESTITUTION FRANÇAISE ».
Mais sans sécurité, on ne peut aller loin en Haïti, malgré les opportunités qui se présentent. Des élections sont prévues avant la fin de l’année 2025, mais des doutes persistent quant à la possibilité de les tenir si l’environnement sécuritaire n’est pas amélioré. Le pays saura-t-il puiser dans ses forces, la capacité de résilience de son peuple et dans son histoire, pour trouver son chemin ?