Le cyclone Matthew est encore présent dans tous les esprits et nous pouvions craindre qu’il assombrît l’atmosphère des dernières Rencontres Nationales du CHF à Guipry-Messac en Bretagne. Or, il en a été tout autrement grâce à la participation de plusieurs Haïtiens, acteurs de la vie sociale, politique et économique du pays. Merci à eux d’être venus témoigner de leurs initiatives et enrichir les débats qui furent foisonnants et fructueux, qu’il s’agisse d’éducation, de citoyenneté, d’environnement, de développement agricole… Les informations dont ils nous ont fait bénéficier nous invitent à repenser notre approche de l’aide à Haïti. Elles nous ont apporté la preuve que nous devons désormais non seulement passer de l’assistanat au partenariat, mais tendre à nous mettre en retrait, laisser les Haïtiens agir, créer et évaluer en toute autonomie leurs éventuels besoins, organisationnels, techniques ou financiers – tout en restant présents pour leur apporter notre soutien d’alliés.
Dans cette optique, nous avons choisi de vous parler aujourd’hui de ce qui pourra aider au redressement de l’agriculture, les filières de l’élevage, en nous appuyant sur la prestation de Michel Chancy, fondateur de Veterimed, secrétaire d’Etat à la production animale de 2008 à 2016 et professeur à la Faculté des Sciences de l’Agriculture et de l’Environnement de l’Université Quisqueya (uniQ) de Port-au-Prince.
Commençons par la filière bovine. La production nationale de viande de bœuf couvre 95% de la demande. Le nombre de bovins en Haïti s’élèverait à environ 1 200 000 têtes, celui de caprins à 2,5 à 3 millions, de porcins à 1 000 000[1]. L’élevage est donc une source de revenus importante pour les paysans. Ces animaux sont le patrimoine de 1 million de familles paysannes. Les difficultés proviennent des infrastructures : manque de laiteries, absence de contrôle de l’abattage par les autorités, et importance du vol de bétail.
A la suite de ce constat, le Ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR), a engagé en mars 2011 une concertation avec plusieurs institutions nationales (les Ministères de l’Intérieur et des Collectivités territoriales, de la Justice et Sécurité publique, du Commerce et de l’Industrie, de la Santé publique et de la Population, la Police Nationale d’Haïti, la Fédération Nationale de CASECs). Les ONG du secteur de l’élevage et les associations d’agents vétérinaires et d’éleveurs, la Fédération nationale des producteurs de lait haïtiens (FENAPWOLA), etc…
Il a donc été mis en place en 2013 un SIB (sistèm idantifikasyon bèt yo) ou Système d’identification du bétail. Le bilan en juin 2016 est positif : dans chaque commune, des agents vétérinaires ont été recrutés et formés pour réaliser les opérations d’identification. Environ 80% des bovins ont été identifiés. Les animaux ont maintenant une paire de boucles d’oreilles et un carnet pour lesquels les éleveurs ont versé une cotisation de 35 gourdes durant la campagne intensive et 110 gourdes actuellement. Toutes les informations sur ces animaux et leurs propriétaires sont enregistrées dans une base de données informatisées que l’on peut consulter sur internet.
Les cotisations des éleveurs se sont chiffrées à plus de 35 millions de gourdes. Elles servent à rémunérer les agents vétérinaires, les opérateurs de saisie des données, les gestionnaires du programme et le renouvellement du stock de matériel d’identification. D’autres moyens financiers ont été mobilisés : le Trésor public, la BID et la Banque Interaméricaine de Développement pour l’achat du stock de départ des intrants (boucles, carnets, vaccins) et certains équipements comme les réfrigérateurs solaires destinés à la conservation des vaccins dans toutes les 140 communes du pays. En concertation avec les autorités locales, environ 300 agents vétérinaires communautaires accrédités sont déployés comme contrôleur dans tous les points d’abattage des communes. Ce système a permis de diminuer drastiquement le vol des bovins et l’impunité de ces actes.
La filière lait a été mise en place avec une quarantaine d’organisation de producteurs de lait regroupées au sein de la FENAPWOLA (Fédération Nationale des Producteurs de Lait Haïtiens) créée le 20 décembre 2007. Vous trouverez l’annonce de sa création sur le site AlterPresse[2]. De nombreux partenaires sont mobilisés en soutien ou en appui au développement de la filière laitière, filière stratégique pour l’Etat haïtien :
- Agences Internationales : FAO, PAM, BRESIL, CANADA, CUBA, USAID, UE, JAPON
- ONG nationales : Veterimed, Koral, Heifer
- ONG internationales : AVSF
- Organisations paysannes : Fenapwola, Intervet
- Le Ministère de l’Agriculture : MARNDR
Le lait est une denrée périssable, les vaches donnent leur lait pendant 6 à 7 mois et les laiteries ont parfois des difficultés à répondre à la demande des consommateurs. Elles ne peuvent stocker leur production. Elles ont besoin d’un soutien qui pourra se faire grâce à un plan de renforcement de la logistique de commercialisation du lait local qui ne répond qu’à 20% de la consommation. Ce projet, présenté par Michel Chancy, sera soutenu par le Collectif Haïti de France.
La filière élevage caprin a permis une action rapide après le cyclone Matthew. Un appel à solidarité est lancé par une coalition de six institutions et associations haïtiennes pour permettre à des familles paysannes de reconstituer une partie du cheptel perdu. Il s’agit de : l’Université Quisqueya, Veterimed, Université Notre Dame, Koral, le Réseau national d’agents vétérinaires (INTERVET) et la Fédération Nationale des Producteurs de lait haïtiens (FENAPWOLA), qui ont entre elles de solides liens de collaboration.
Avec deux chèvres adultes prêtes à se reproduire, une famille peut avoir 4 à 6 chèvres dès la première année. Des expériences antérieures inspirées du système traditionnel de « gardiennage » ont montré que un an après, ceux qui avaient reçu 2 chèvres ont été en mesure de faire un don de deux chèvres à un autre bénéficiaire, une pratique qui entretient le sens de responsabilité et de solidarité. A la deuxième année, une famille qui a augmenté son troupeau à 4 chèvres peut espérer des revenus annuels 3 à 4 fois supérieurs à l’investissement de départ. Le programme est en train de démarrer dans plusieurs région et vise la distribution de 10 000 chèvres à 5 000 familles. Le projet est en cours et vous pouvez y participer[3].
La filière avicole est loin de permettre l’approvisionnement du pays. La majorité des œufs sont importés en contrebande de République dominicaine où il existe, depuis 2008, le virus AH5N2 de l’influenza aviaire qui se transmet de volaille à volaille, mais qui ne représente aucun danger pour l’homme. Les autorités haïtiennes considèrent qu’il existe toujours des risques de contamination de volailles haïtiennes qui constituent un danger pour la production avicole nationale. La viande de poulet provient, elle, en majorité des Etats-Unis. La reconquête d’une partie du marché national a progressé. Au cours de 5 dernières années, par exemple, la production est passée de 1 million d’œufs par mois à près de 8 millions, (de 3% de la consommation nationale à 25%). Cette progression permet de diminuer la dépendance aux importations. Pour poursuivre, il faut lutter contre la contrebande, les maladies avec la vaccination pour l’aviculture traditionnelle qui permet d’augmenter les revenus de la population rurale.
En ce qui concerne l’aquaculture, les stocks naturels de poissons en mer diminuent à travers le monde, et donc l’élevage de poissons est une opportunité qui se développe, même en Haïti. Grâce aux différents investissements publics et privés, de 2011 à 2014, la production annuelle est passée de 200 TM (Tonnes Métriques) à 550 TM. L’objectif est d’atteindre en 5 ans, 10 000 TM/an. Haïti dispose d’un important potentiel de développement de l’aquaculture et de la pêche en lac. Après Cuba, Haïti est le pays des Caraïbes qui possède le plus de ressources en eaux intérieures.
La filière fruit est développée par l’ANATRAF (l’Association Nationale des Transformateurs de Fruits). La transformation des fruits repose sur la production familiale. Le travail se fait à 80% à la main et la gestion des intrants (bocaux, sucre blanc importé) ne permet pas de générer des profits immédiats. Pour le marché local, il faudrait des emballages mieux adaptés : plus petits et moins coûteux. Le marché formel destiné aux markets en ville, présente des exigences que les petits ateliers ne sont pas toujours en mesure de respecter.
Une dernière filière en projet : le sucre. La production de sucre de canne a quasiment disparu du pays. Il s’agirait de produire du sucre complet brun (rapadou en poudre) dans de petites unités. La production est aisée, l’investissement est peu important, et le stockage est facile. La culture de la canne à sucre est un bon apport à l’élevage, elle produit une gamme variée d’aliments : les feuilles de sa tête (amarres) disponibles pendant la saison sèche où sa valeur alimentaire est la plus élevée… C’est comme une réserve fourragère sur pied qui ne nécessite pas de stockage et qui convient aux ruminants.
La filière cacao est à mettre en place. Des coopératives fonctionnent dans la Grand’Anse et dans le Nord du pays (FECCANO en lien avec Ethiquable), mais la production n’est pas assez valorisée alors que le cacao haïtien est de bonne qualité.
Concernant la filière café, il existe un Institut National du Café d’Haïti (INCAH) créé par des associations de planteurs et les ONG œuvrant dans le secteur café en Haïti.
Les projets ne manquent donc pas. Le système d’identification des bovins est comme un pont qui permet de créer des faisceaux, des canaux et d’appuyer la décentralisation. Pour Haïti, « le défi le plus important est de passer de la mentalité d’assisté à celle de créateur ».
Directeur de publication : Paul VERMANDE
Tél : 01 43 48 31 78 /comiteredaction@collectif-haiti.fr/ www.collectif-haiti.fr
[1] http://agriculture.gouv.ht/statistiques_agricoles/wpcontent/uploads/2014/09/D%C3%A9pliant–dur%C3%A9sum%C3%A9–r%C3%A9sultat–ENEPA–2013.pdf
[2] www.alterpresse.org/spip.php?article6779
[3] Détails de l’opération à lire sur le site internet de Veterimed : www.veterimed.org.ht/new/IMG/pdf/Soutenir_relance_elevage_Ha iti.pdf