Depuis la mise en place d’un nouvel exécutif en Haïti en mai 2024, dirigé par un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et un nouveau Premier Ministre, la situation sécuritaire du pays reste alarmante, malgré l’arrivée de troupes étrangères dans le cadre de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS). L’ancien président Michel Martelly, récemment sanctionné par les États-Unis pour son implication dans le trafic de drogue et son soutien aux gangs armés, incarne désormais la figure du « bandit à cravate. » Alors que ces sanctions marquent un tournant symbolique, des interrogations persistent quant à leur impact réel sur le terrain vu le rôle passé des États-Unis dans son ascension. Dans ce contexte, un appui de l’Union européenne à la justice haïtienne pour combattre les élites criminelles serait une initiative bienvenue.
Depuis Mai 2024, un nouvel exécutif composé d’un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et d’un premier ministre a pris les rênes d’Haïti après la chute du Premier Ministre Ariel Henry. Entretemps, 400 kenyans, membres de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS) sur un millier attendu, sont arrivés au pays pour aider la Police à combattre les gangs et à rétablir la sécurité en Haïti. Mais dans la réalité, près de trois mois après, rien n’a vraiment changé dans le décor : les groupes armés continuent de prendre le contrôle de nouveaux territoires, de détruire des infrastructures policières, de tuer, de violer, de piller, de forcer de nombreuses familles à vider les lieux. Depuis l’arrivée de ce nouveau gouvernement, trois (3) massacres occasionnant la mort à chaque fois de dizaine de personnes ont été enregistrés.
« Bandits à cravates »
Plus les jours passent, plus c’est la même chose. Les nouveaux dirigeants procèdent à de nouvelles nominations dans l’administration publique, multiplient sans arrêt les promesses, mais dans la réalité rien ne change, particulièrement sur le plan sécuritaire. Les conditions de vie de la population continuent de se détériorer. Quelques tentatives d’interventions se sont soldées par des échecs cuisants, souvent avec la mort de policiers impliqués dans les opérations et la destruction ou saisie de leurs matériels par des gangs tout puissants. La population qui avait manifesté un regain d’espoir avec l’arrivée de ce nouveau gouvernement commence à perdre patience. Elle n’a aucune idée de l’orientation que veut prendre le gouvernement pour l’aider à sortir de cette impasse. Partout, des gens réclament des mesures drastiques pour freiner les gangs et pour endiguer ce flux incessant d’armes et de munitions qui viennent surtout des Etats-Unis et qui alimentent le banditisme dans le pays. D’aucun se demande comment des jeunes de conditions modestes, dont la plupart n’ont jamais voyagé, sont-ils parvenus à trouver les contacts et les moyens pour faire l’acquisition de tant d’armes et de munitions dont ils se servent à profusion pour tuer leurs semblables, s’ils ne bénéficient de l’appui de gens haut placés ? Ainsi est né l’expression « bandits à cravates », qui, selon les analyses sont derrière « les bandits à sapates », c’est-à-dire, ces personnes, la plupart de jeunes hommes des quartiers populaires, qui exécutent les basses œuvres d’assassinats, de vols et de kidnapping.
Ce mardi 20 Août 2024, on a commencé à avoir un minimum de réponse à cette épineuse question. En effet, la nouvelle est tombée comme une bombe. Le département du Trésor américain a décidé de sanctionner l’ex-président haïtien, M. Michel Martelly pour son implication dans le trafic mondial de drogues et le parrainage des groupes armés en Haïti. L’institution américaine reproche à l’ancien président d’avoir créé un envi
ronnement permettant le trafic de drogue et fait du pays un point de transit de stupéfiants en supportant les gangs. Elle annonce des sanctions contre M. Martelly, dont l’interdiction aux institutions financières américaines de lui accorder des prêts ou des crédits et aux personnes américaines de mener une quelconque transaction financière avec lui.
De son côté, l’ambassadeur américain en Haïti, M. Denis Hankins, a annoncé de nouvelles sanctions contre toutes personnalités fournissant un appui aux gangs. « Auteurs, co-auteurs et financeurs de l’insécurité en Haïti seront poursuivis par le gouvernement américain afin qu’ils mettent fin à leurs activités criminelles », a déclaré l’ambassadeur qui visitait la ville du Cap. Il a informé que le gouvernement américain travaille en collaboration avec les autorités haïtiennes afin d’identifier d’autres personnalités qui œuvrent à déstabiliser le pays. « Les gouvernements haïtien et américain doivent s’unir pour arrêter les criminels à cravate de même que les criminels armés », a-t-il déclaré, faisant allusion à l’élite politique et économique d’Haiti. Lorsqu’un journaliste lui a demandé si l’ancien président Michel Martelly pouvait être considéré comme un gang à cravate, le diplomate a répondu sans équivoque « Oui, puisque l’ancien président était engagé dans le trafic de drogue et a aidé des gangs criminels ». Selon d’autres sources, durant sa présidence, M. Martelly a créé plusieurs groupes armés dans les quartiers populaires pour défendre ses intérêts et la plupart d’entre eux sont devenus les pires criminels qui sèment aujourd’hui la terreur à la capitale.
Sanctions
La nouvelle des sanctions infligées à M. Martelly par le Département du Trésor américain est saluée par de nombreuses personnalités nationales et internationales et est largement commentée dans l’opinion publique. Pour M. Pierre Espérance, Directeur Exéc
utif du RNDDH (Réseau National de Défense des Droits Humains), ces sanctions américaines représentent un signal fort envoyé aux responsables politiques qui utilisent leur position au sein de l’Etat pour mener ou promouvoir des activités criminelles qui détruisent la nation. Pour des petrochallengers qui s’étaient mobilisés contre le détournement des fonds Petrocaribe, cette décision de Département du Trésor américain est une première victoire dans la lutte contre l’impunité et la corruption au plus haut niveau qui gangrène Haïti.
Les sanctions imposées à M. Martelly sont pour le moment d’ordre économique. Plusieurs organisations commencent à élever la voix pour réclamer la saisie des biens de l’ancien président pour les retourner au trésor public, car selon elles, ils ont pour la plupart été acquis avec les moyens de l’Etat haïtien. D’un autre côté, l’on estime que pour des crimes aussi graves, M. Martelly mérite d’être arrêté pour être jugé, comme ce fut le cas pour d’autres dignitaires de pays de l’Amérique Latine et d’Haïti impliqués dans ces genres de crimes. D’autres organisations appellent déjà à la mobilisation des victimes pour réclamer justice et réparations pour les torts subis en raison de l’activité des gangs. Ils souhaitent que les États-Unis ne s’arrêtent pas à cette décision historique, mais continuent d’aller jusqu’au bout en poursuivant Martelly et ses alliés par-devant des instances judiciaires. Autrement, selon ces organisations, les Etats-Unis pourraient être suspectés de vouloir éviter tout risque de révélation par Martelly d’informations compromettantes sur le rôle joué par cette puissance dans la détérioration de l’environnement sécuritaire en Haïti.
Méthodes douteuses
En suivant l’évolution de la situation, les analystes se demandent si ce premier pas pour neutraliser les bandits à cravates aura un impact significatif sur les bandits à sapates, c’est-à-dire les hommes de mains armés qui terrorisent la population ? Ils se demandent aussi pourquoi les Etats-Unis qui ont facilité l’avènement de M. Martelly à la présidence d’Haïti et qui l’ont protégé par la suite, décident-ils de le lâcher aujourd’hui ? Il est intéressant de souligner que Martelly avait accédé en 2011 à la présidence d’Haïti grâce au soutien des États-Unis, qui l’ont imposé par des méthodes douteuses non respectueuses du droit du peuple de choisir ses propres dirigeants.
Quant à l’actuel gouvernement haïtien, il ne s’est pas encore prononcé sur le sujet et n’a encore donné aucun signe de volonté de vouloir réformer le système judiciaire haïtien complètement absent dans toute cette histoire et dont une bonne partie est contrôlée, elle aussi, par cette mafia qui alimente les gangs. On a noté cependant que le même jour de l’annonce de ces sanctions, le gouvernement a renouvelé pour deux mois supplémentaires l’état d’urgence qu’il avait décrété récemment tout en l’étendant à une plus large partie du territoire. Il a aussi annoncé l’arrivée prochaine de nouveaux matériels et équipements devant permettre à la Police d’être plus performante dans ses actions pour contrer les gangs. Dans cette perspective, il serait opportun que les organismes internationaux qui disent appuyer cette démarche de mettre la main au collet des bandits à cravates apportent leur soutien à la justice haïtienne pour faciliter la poursuite de M. Martelly et de ses alliés pour ces crimes.
Colette Lespinasse, 21 Août 2024