Le 14 septembre, le gouvernement haïtien a annoncé une augmentation de plus de 100% des prix de l’essence. La raison serait que le trésor public est vide et que le gouvernement n’a plus d’argent pour fonctionner. C’est pourquoi il a été décidé de mettre fin à la subvention sur le carburant. Mais, disent les Haïtiens, nous ne recevons rien de l’État, et s’il est vrai que le carburant est subventionné, c’est tout ce que nous bénéficions de ce gouvernement. De ce fait, les gens n’acceptent pas cette augmentation des prix de l’essence. Et pour exprimer leur désaccord, ils ont décidé de descendre dans la rue pour protester.
Dans plusieurs villes de province, les manifestations ont été accompagnées de violences et de pillages. Dans la ville septentrionale Gonaïves un entrepôt appartenant au Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies (PAM) a été pillé. Une trentaine d’écoles, majoritairement dans l’Artibonite, a été vandalisé, bien que la rentrée des classes est maintenue au 3 octobre. Les connexions téléphoniques de la compagnie DIGICEL ont été interrompues dans certaines régions du pays car des câbles ont été endommagés lors de manifestations et/ou des opérations de la Police.
Le carburant était déjà devenu très rare ces derniers mois. Il n’y avait rien à trouver dans les stations-service, tandis que l’essence était proposée à des prix exorbitants dans la rue. À la fin de l’année dernière, plusieurs gangs avaient t bloqué pendant un certain temps la sortie des camions des centres de stockage de pétrole dans le port de la capitale, provoquant une rareté de carburant. Tout de suite après, le gouvernement avait annoncé une augmentation des prix. Selon certains observateurs, le non approvisionnement des stations d’essence est une tactique gouvernementale pour forcer la population à accepter la hausse des prix.
De nombreux services de base dans le pays fonctionnent à peine. Pour le centre national des ambulances, d’une grande importance en cette période de crise, la hausse du prix du carburant est le coup de grâce. Jusqu’à cette semaine, malgré tous les problèmes, le centre parvenait toujours à s’approvisionner en essence. Mais les dernières hausses de prix, combinées à la situation dangereuse de blocage des rues, ont obligé le directeur à arrêter le travail des ambulances. « Comment peut-on demander à un employé, qui gagne moins de 30 000 gourdes par mois, de dépenser 275 gourdes par jour en frais de transport pour se rendre au travail? Malgré les sacrifices des chauffeurs et des ambulanciers, la situation est devenue intenable », a déclaré le directeur au journal haïtien Le Nouvelliste. Il a renvoyé les deux derniers employés chez eux.
Le carburant n’est pas le seul problème. Haïti dépend largement des importations de riz et de céréales pour nourrir sa population. La guerre en Ukraine combiné à une détérioration du taux de change de la monnaie locale par rapport au dollar, a des conséquences directes sur l’approvisionnement alimentaire dans ce pays des Caraïbes. En fait, la dépendance d’Haïti est née il y a des décennies lorsque, dans les années 1980, l’USAID et le Fonds monétaire international (FMI) ont imposé des réformes économiques au pays allant dans le sens de l’ouverture des marchés. Durant le coup d’Etat contre Aristide, dans le cadre des négociations menées pour son retour en 1994, un accord a été signé pour forcer la baisse des tarifs douaniers sur le riz et autres produits de consommation. Ce qui a provoqué une concurrence déloyale avec la production locale et de graves conséquences sur le secteur paysan. Depuis lors, Haïti continue de subir des pressions de la part des institutions financières internationales et des pays donateurs pour suivre cette politique commerciale de libre marché.
Face à la montée des protestations, plusieurs ambassades, dont celle de la France, de l’Espagne, du Taiwan et autres, ont temporairement fermé leurs portes. Les Etats-Unis ont demandé à leurs ressortissants d’évacuer Haïti. L’ONU a appelé au calme. Le gouvernement haïtien, dirigé par le Premier Ministre de facto, Dr. Ariel Henry, reste silencieux , tout comme le soi-disant Core Group (formé par les ambassadeurs d’Allemagne, de France, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des États-Unis et de l’Union européenne, ainsi que des représentants des Nations unies et de l’Organisation des États américains). « Haïti est de nouveau en feu« , écrit Amy Wilenz, experte américaine sur les questions d’Haïti, dans The Nation, « et dit-elle, «encore une fois, les États-Unis ne font rien pour aider« . Au contraire, Ariel Henry s’accroche au pouvoir avec l’appui fervent de Washington.