En Haïti, tous les premiers janvier, la soupe de giraumont (encore appelée soup joumou) coule à flot. Dans toutes les maisons, dans toutes les couches sociales, aussi bien dans le pays que chez les haïtiens vivant à l’étranger, cette soupe est consommée ce jour-là depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher pour commémorer la fête de l’indépendance. A travers tout le territoire et dans la diaspora, la soupe joumou est reconnue et valorisée. Rares sont les haïtiens et haïtiennes qui ne l’aiment pas. On a l’habitude de l’offrir à des amis de passage au pays pour leur faire gouter un peu de la cuisine nationale, la servir un dimanche matin lors de rendez-vous d’amis ou à des occasions spéciales dans une famille ou un groupe. Voilà pourquoi cette soupe est considérée comme un symbole unificateur de l’identité haïtienne. Et malgré les crises qu’a connues le pays, la forte migration de sa population, ce potage n’a pas perdu de son charme.
Pour ce premier janvier 2022, la soupe joumou haïtienne est préparée et consommée avec une plus grande fierté, car elle a pris des grades. En effet, le 16 décembre 2021, le comité intergouvernemental de Sauvegarde du patrimoine immatériel de l’UNESCO a reconnu cette soupe haïtienne comme un élément du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Désormais, ce plat fait partie des 630 éléments culturels appartenant à 140 pays qui sont déjà reconnus par l’agence onusienne chargée des questions culturelles.
C’est une inscription dont les haïtiens et haïtiennes sont très fier(e)s car elle marque la reconnaissance de la communauté internationale à l’égard du patrimoine haïtien. Plusieurs personnalités internationales ont salué cette décision du comité. En Haïti comme à l’étranger, pour ce premier jour de 2022, des groupes se sont organisés, un peu partout, pour manger et partager la soupe joumou en communion avec tous ceux et celles qui croient encore en cette nation en proie à de nombreuses difficultés.
L’intérêt patrimonial de la soupe joumou réside dans sa symbolique historique, sa valeur d’âge, sa savante préparation – qui témoigne d’un savoir-faire -, et surtout dans son ancrage dans la société haïtienne. En effet, la préparation et la consommation sans discontinuité de la soupe joumou, appelée aussi « soupe du 1er janvier ou de l’indépendance », remonte à plus de deux siècles, soit au 1er janvier 1804, jour de la proclamation de l’indépendance d’Haïti, ce qui, de manière incontestable, contribue à faire de cet aliment un symbole fort, indissociable de l’histoire et de l’identité du peuple haïtien.
L’histoire raconte que c’est Marie Claire Heureuse, épouse de Dessalines, le fondateur de la nation haïtienne, qui eut cette idée géniale de demander à tous les habitants de la jeune nation de consommer ce plat en signe de liberté, d’union, de solidarité, d’amour et de paix. Cette femme voulait ce jour-là que personne n’ait faim, que cette prestigieuse soupe dont la consommation était interdite aux esclaves et qu’elle utilisait pour soigner les blessés de la guerre de l’indépendance, soit consommée et partagée avec joie.
Madame Bayyinah Bello, professeure à l’Université d’Etat d’Haïti a fondé et dirige la Fondation Marie Claire Heureuse Félicité Bonheur Dessalines appelée aussi Fondasyon Felicite (FF) pour la recherche historique. Depuis plusieurs années, cette fondation procède, chaque 1er janvier, à une importante distribution de soupe joumou à travers plusieurs communes d’Haïti et permet à environ 4 à 5 000 personnes de déguster ce mets hautement symbolique pour le peuple haïtien. Préalablement à cette date, elle organise régulièrement une importante réunion avec la participation de gens venus de différentes régions du pays pour raconter l’histoire de cette soupe, transmettre sa valeur historique et donner des orientations pour la célébration.
Il existe plusieurs recettes de préparation de la soupe joumou. Mais certains éléments sont incontournables: d’abord le giraumon qui est un genre de courge proche du potiron. On dit du giraumon qu’il est le potiron local des Antilles, Ensuite certains légumes comme le chou, la carotte, le navet, l’orseille et le céleri. Certains y ajoutent de la viande de bœuf, de l’igname, de la banane etc. Les tranches du giraumon sont mises à cuisson dans une casserole avec ou non du boeuf, Ensuite les morceaux cuits sont écrasés et mélangés avec l’eau de cuisson. Les légumes y sont ensuite ajoutés. On peut y mettre également des vermicelles, du macaroni, de la banane ou de la pomme de terre, un peu de beurre et d’huile. La soupe est toujours servie chaude et parfois accompagnée de pain.
Alors, mesdames et messieurs, ami-e-s d’Haïti, unissez-vous aux haïtiens et haïtiennes chaque premier janvier en consommant cette soupe! Et si vous venez en Haïti, n’hésitez pas à en réclamer auprès de vos partenaires et amis. C’est une soupe vitaminée qui vous donnera de la force et de la bonne humeur pour continuer le travail.
Bonne année 2022 remplie de paix, de santé et d’espérance en un lendemain meilleur !
Colette Lespinasse
1er janvier 2022