Pieter Thys, coopérante de Broederlijk Delen, travaille en Haïti depuis plusieurs années. Pour MO Magazine, mi-septembre il a écrit l’article suivante sur le budget national, avant peu approuvé par le Parlement haïtien. Aujourd’hui, au début d’octobre, la situation continue d’être tendue et troublée: le 2 octobre plusieurs syndicats de transport publique ont confirmé le maintien de deux jours de grève, après que d’autres syndicats ont annoncé la levée de la grève, parce que selon leur porte-parole l’Exécutif vienne d’accepter un nombre de leurs réclamations. Ça fait maintenant trois semaines depuis le début des grèves et manifestations et jusqu’au moment la fin n’est pas arrivée en tant que le président Moïse ne paraît pas être disposé à céder.
Le parlement haïtien vient d’approuver le budget national pour la nouvelle année (année fiscale octobre-septembre). Ce nouveau budget a généré beaucoup de controverses, de stupéfaction et surtout de la rage auprès de la population. Le budget national n’est pas seulement en contradiction flagrante avec la réalité économique et sociale du pays, mais le gouvernement semble être décidé de renflouer la caisse de l’Etat en imposant des taxes énormes à la population déjà fortement appauvrie.
Le mardi 12 septembre en fin d’après-midi, Port-au-Prince, la capitale haïtienne, ressemblait plutôt à un champ de bataille. Le béton était noir des traces de pneus brulés, des pavés lancés en rond témoignaient des confrontations entre les manifestants et les services de l’ordre, nombre de véhicules étaient transformés en carcasses. Raison de ces troubles sociaux : l’approbation du budget national par le parlement haïtien.
Un budget ‘criminel’
Lorsque le Ministre de l’économie et des finances, Patrick Salomon, présentait il y a quelque temps la proposition d’une nouvelle loi de finances au Parlement, le document a suscité beaucoup d’incrédulité. Le budget national proposé ne semblait aucunement tenir compte des défis sociaux et économiques auxquels le pays se voit confronté. Par exemple pour le système de santé publique, secteur complètement paralysé par un manque de moyens de fonctionnement et des vagues de manifestations du personnel médical sous-payé, le budget prévu est inférieur au budget des parlementaires. Les services de santé pour environ 10 millions d’haïtiens sont donc moins importants que les salaires et frais de fonctionnement de 146 parlementaires. En plus, le président Jovenel Moïse s’approprie un portefeuille qui dépasse le budget du pouvoir judiciaire, et cela dans un pays où environ 80% des détenus passent des mois ou des années dans des prisons surpeuplées à attendre leur jugement parce que le système judiciaire est très lent et corrompu. Le budget national ne contient pas non plus des mesures pour les 60.000 victimes du tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui logent toujours dans des camps, ni pour les milliers de familles qui ont tout perdu lors du passage de l’ouragan Matthew en octobre 2016. Des organisations de la société civile, parmi eux aussi des partenaires de Broederlijk Delen, ont qualifié le budget de ‘criminel’, et ils utilisaient toutes sortes de médias pour informer la population du contenu de la loi sur le financement.
Des taxations très élevées
Les mesures proposées pour renflouer la caisse de l’Etat ne tiennent pas non plus compte de la réalité socio-économique du pays. Environ 6 millions d’Haïtiens vivent en dessous du seuil de pauvreté et selon des estimations prudentes plus de 40% de la population active est sans emploi. Chaque année des milliers d’haïtiens quittent leur terre natale à la recherche d’une vie meilleure à l’étranger. Toutefois le gouvernement veut renflouer la caisse de l’Etat en augmentant la pression fiscale de la population déjà appauvrie. La fiche de déclaration d’impôt devient une condition pour obtenir des documents officiels tel qu’un passeport ou un permis de conduire. Et là aussi, le prix pour obtenir ces documents augmente. Il y a quelques mois les ouvriers du secteur textile ont fait grève pendant des semaines pour exiger de doubler le salaire misérable minimal de 300 gourdes (4 Euros) par jour. Le gouvernement a répondu avec une augmentation de 50 gourdes (0.65 eurocent), l’équivalent de 2 petites bouteilles d’eau. Les prix du carburant ont également augmenté entraînant une augmentation des prix du transport public, qui est le moyen utilisé par la majorité des gens qui vont au travail.
Une dette publique controversée
De plus, le gouvernement haïtien veut laisser payer la dette créée par le pays envers le Venezuela, via le ‘fonds Petrocaribe’ dont la gestion controversée questionne plus d’un. Depuis plusieurs années le Venezuela fournit du pétrole bon marché à l’Etat haïtien. Avec le bénéfice sur la vente de ce carburant, l’Etat peut investir dans un fonds – ‘le fonds Pétrocaribe – afin de pouvoir financer des projets sociaux et économiques. Mais corruption et mauvaise gestion ont transformé l’opportunité de ce fonds dans une dette gigantesque. Le remboursement de cette dette représente actuellement un des plus grands postes de dépenses du budget national pour l’an qui vient …
Va et vient entre le gouvernement et le Parlement
L’incrédulité est devenue de la stupéfaction lorsque la proposition de loi sur le financement a été approuvée sans débat et de façon quasi-unanime par la Chambre des députés. Au Sénat un seul sénateur a essayé de bloquer l’approbation de la nouvelle loi en déchirant le rapport de la Commission des Finances et en dérangeant la session de vote avec des chants et de sons de cloche. Mais finalement le sénat aussi a approuvé la loi avec une large majorité. Un va et vient donc entre le gouvernement et le parlement, car les parlementaires sont les grands vainqueurs du budget national.
Protestation dans les rues
Le mardi suivant la bombe a éclaté. Après l’incrédulité sur le contenu de la nouvelle loi de finances et l’étonnement sur la rapidité avec laquelle la Chambre et le Sénat ont fait passer l’approbation, la population a éclatée en colère et a pris la rue pour manifester son mécontentement sur la politique antisociale du gouvernement en général et sur la nouvelle loi de finances en particulier. Par ces protestations de rue on veut faire pression sur le gouvernement pour annuler cette loi et demander d’élaborer une nouvelle proposition qui soit socialement plus juste. Après les émeutes du mardi 12 septembre, une grève générale a eu lieu le lundi 18 septembre. Si le gouvernement ne revenait pas en arrière de nouvelles protestations étaient annoncées à partir du 21 septembre. Peu avant son départ pour l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York, le président Jovenel Moïse a fait savoir qu’il publierait la loi sur le financement sans modification dans le journal officiel ….
Pieter Thys