17 avril 1825 – 17 avril 2025 : deux siècles depuis que le Roi Français Charles X avait publié une ordonnance exigeant à Haïti le versement à la France de 150 millions de Francs avant de reconnaitre son indépendance proclamée le 1er janvier 1804. Cette rançon était réclamée pour les colons esclavagistes qui avaient dû fuir la colonie de Saint Domingue au moment de la guerre de l’Indépendance. A la remise de cette ordonnance à la jeune nation fraichement sortie de l’esclavage, 14 navires de guerre français transportant 500 canons se trouvaient au large d’Haïti prêts à bombarder. Jean Pierre Boyer, président d’Haïti d’alors, a cédé au chantage.
Dès l’échéance du paiement des premiers versements, en décembre 1825, le pays ne pouvait pas trouver autant d’argent et fut obligé de recourir à des emprunts auprès de banques françaises pour pouvoir s’acquitter de cette odieuse « dette ». C’est ce qu’on appelle la double dette. A un certain moment, la France a dû accepter une réduction du montant qui est passé de 150 à 90 millions de francs français. Selon les données actualisées, ce montant représente aujourd’hui (en 2025) autour de 21 milliards de dollars américains soit 20,4 milliards d’euros.
Depuis lors, Haïti entra dans un cycle infernal d’endettement qui dura presqu’un siècle, car de temps en temps il fallait prêter pour pouvoir payer. Toutes les ressources de la jeune nation acquises au prix de lourds sacrifices, notamment par le travail des paysans-agriculteurs (les anciens esclaves) dans des champs de café, furent drainées vers la France pour le paiement d’un soi-disant dédommagement à des esclavagistes. A rappeler que ces derniers avaient soumis, durant plus de deux siècles, des millions de noirs venus d’Afrique, à toutes sortes de mauvais traitements, au travail forcé, à l’esclavage afin de s’enrichir et enrichir la métropole. Et comme si tout cela ne suffisait pas, pour pouvoir faire fonctionner l’Etat, les dirigeants d’alors ont eu recours à la coupe massive de bois précieux pour l’exportation, renforçant ainsi le processus de déboisement qui continue encore aujourd’hui en Haïti.
Restitution et Réparation
Le paiement de cette ignoble dette a hypothéqué le développement d’Haïti. Dès le début, les moyens qui devraient être investis pour construire des infrastructures et faire marcher le pays, sont partis ailleurs, plongeant Haïti dans un cercle vicieux d’endettement et de dépendance. Les conséquences aujourd’hui de ce braquage sont patentes. La plaie de la rançon est encore béante et tarde à se cicatriser. Entretemps, l’esclavage a été reconnu officiellement comme un crime contre l’humanité et de nombreux mouvements dans le monde se mettent debout pour réclamer justice et réparation contre toutes ses conséquences.
C’est dans ce contexte d’anniversaire des deux siècles de ce holp-up contre Haïti et de la mobilisation des afrodescendants, qu’il faut comprendre cette revendication exigeant de la France Restitution et Réparation. Ce mouvement un peu timide, à l’occasion de la célébration des 200 d’indépendance d’Haiti en 2004, prend aujourd’hui de plus en plus d’ampleur. Poussé par l’élan du mouvement Afrodescendant, un peu partout dans le monde (En Haïti, en Amérique, en Afrique, en Europe etc.), des groupes se forment, se mobilisent pour réfléchir sur le sujet, pour organiser des conférences et faire connaitre cette histoire qui est passée sous silence dans les annales françaises et du monde. Des historiens, des chercheurs, des économistes, des anthropologues, des journalistes et autres professionnels se sont mis de la partie. New York Times est l’un des prestigieux journaux à avoir investi du temps et de l’argent pour mener une importante recherche afin d’essayer de comprendre et expliquer au monde pourquoi Haïti, ce premier pays noir qui avait aboli l’esclavage, qui s’était déclaré indépendant et pris ses distances avec le système colonial, se retrouve aujourd’hui dans cet état, classé comme pays le plus pauvre de l’Amérique.[1] La publication des résultats de cette recherche a eu beaucoup d’échos dans le monde et aussi en Haïti.[2] Il a permis de mettre en lumière comment l’argent payé pour cette soi-disant dette de l’indépendance a servi à l’enrichissement de banques françaises, à la mise sous contrôle de l’économie d’Haïti et a contribué à la construction d’importantes infrastructures en France dont la Tour Effel.
En prélude à la commémoration des deux siècles de cette ordonnance impie, plusieurs livres ont aussi été publiés sur ce sujet, comme celui de Frédéric Thomas intitulé « Haïti : Notre Dette »[3], celui de Louis Georges Tin « Esclavage et Réparation, Comment Faire Face Aux Crimes de l’Histoire ? »[4] ; celui intitulé « Haïti-France : Les Chaines de la Dette. Le rapport de Mackau (1825) »[5], écrit par plusieurs co-auteurs dont l’historienne haïtienne Gusti-Gaillard et le géographe Jean Marie Théodat et dont l’introduction est faite par l’actuel coordonnateur du Conseil Présidentiel de Transition en Haïti, M. Fritz Alphonse Jean Haïti-France, etc.
A côté des publications, nous avions dénombré plusieurs groupes de discussions issus du milieu universitaire haïtien, du mouvement paysan, de jeunes qui ont créé des affiches, des spots publicitaires pour rappeler aux haïtiens cette importante date, même s’ils font face actuellement à une insécurité quotidienne bouleversante. Le groupe Kolektif 1825 composé de professeurs chercheurs et d’étudiants de l’Université d’Etat d’Haïti développe chaque samedi des cours en ligne sur différents aspects de cette rançon à l’intention du monde universitaire et des chercheurs en général. Un autre groupe dénommé Kolektif Afwo Desendan (KAAD) regroupe des personnalités de la société civile haïtienne et de sa diaspora qui avaient pris part aux rencontres du Forum Permanent des Nations-Unies des Personnes Afrodescendantes (PFPAD) organisées par les Nations-Unies et au cours desquelles la demande de la Restitution et Réparation à Haïti par la France a été inscrite à deux reprises dans les résolutions finales.
Au niveau politique, les choses ont aussi bougé. Deux membres du Conseil Présidentiel de Transition(CPT) ont déjà fait des déclarations ouvertes, officielles, montrant que l’Etat haïtien veut se mobiliser pour réclamer Réparation et Restitution à la France. Un Comité National pour la Réparation et la Restitution a été montée par le Conseil de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) et appuyée par le gouvernement. M. Fritz Deshormes, ex-recteur de l’UEH en est le président. Ce comité national a demandé aux dirigeants haïtiens de déclarer 2025 « L’année de la Restitution, Réparation » et de s’approcher des autorités françaises pour s’accorder sur les modalités de cette restitution. A l’issue d’une rencontre avec M. Macron en janvier 2025, M. Leslie Voltaire, alors président du CPT, a annoncé que le président français, a pris l’engagement de faire une déclaration à l’occasion du 17 avril prochain, date anniversaire des 200 ans de la publication de l’ordonnance de Charles X.
Dans le cadre de la tenue prochaine (entre les 14 et 17 avril 2025) à New York de la 4ème session du Forum permanent des Nations Unies des personnes d’ascendance africaine, des groupes de la société civile haïtienne de l’intérieur et de l’extérieur du pays se préparent à présenter leur cahier de charges en renouvelant la demande d’un appui aux Nations Unies pour obtenir Restitution et Réparation contre cette dette/rançon. Dans cette perspective, les groupes souhaitent demander au forum la création d’une commission internationale composée d’experts internationaux et haïtiens pour travailler sur la restitution à la République d’Haïti de la rançon versée à la France pour la reconnaissance de son indépendance, et la dette encourue, conformément aux conclusions et recommandations inscrites dans le rapport de la première et deuxième session du Forum. Cette commission tiendra séparés le droit à la restitution à Haïti de la rançon de l’indépendance et le droit à la réparation globale comme peuple afro descendant caribéen ayant permis aux nations Européennes esclavagistes de s’enrichir et se développer. Par la suite, cette commission travaillera avec l’État français afin de déterminer les enveloppes d’investissement monétaires et non monétaires au prorata annuel du montant de la restitution. Ce fonds servira exclusivement à des investissements dans des infrastructures de transports, de services, et d’énergie et aussi dans l’éducation, la santé et l’agriculture.
A noter qu’en 2025, l’Union africaine (UA) concentrera ses efforts sur la question des réparations dans le cadre de son thème annuel « Justice pour les Africains et les peuples afro-descendants ». La CARICOM mettra également l’accent sur son Fonds Global de Réparations, établi en 2023, et poursuivra les consultations entamées par le Parlement Panafricain, qui ont donné naissance à la Déclaration de Gorée, fondée sur la Déclaration et le Plan d’Action de Durban. Ces démarches continueront de mettre en lumière la nécessité d’une justice réparatrice et d’un processus de guérison pour construire un avenir plus juste et équitable.
Le mouvement de la société civile haïtienne pour la Restitution de la dette par la France et la Réparation plaide en faveur de la création d’un grand réseau de Solidarité au peuple haïtien. Il souhaite une solidarité mondiale et l’alignement stratégique sur la cause d’Haïti par les autres personnes/pays touchée.s par l’esclavage et la violence coloniale, soulignant l’interdépendance des luttes pour la justice au sein de la diaspora africaine et au-delà. Le succès de la revendication d’Haïti sera, sans aucun doute, un accélérateur pouvant contribuer à propulser les mouvements de réparation dans le monde entier.
[1] https://www.nytimes.com/2022/05/20/world/americas/haiti-history-colonized-france.html
[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/23/haiti-comment-la-france-a-oblige-son-ancienne-colonie-a-lui-verser-des-indemnites-compensatoires_6127378_3210.html
[3] https://www.cetri.be/Haiti-notre-dette?lang=fr
[4]https://www.editions-stock.fr/livre/esclavage-et-reparations-9782234074880/
[5] https://www.hemisphereseditions.com/anciennes-parutions/ha%C3%AFti-france%2C-les-cha%C3%AEnes-de-la-dette