Le 9 avril 2025, la Coordination Europe Haïti (CoEH) a tenu sa première Assemblée Générale pour l’année 2025. Dans le cadre de cette rencontre, les membres de notre plateforme de plaidoyer sur Haïti ont réfléchi sur la situation qui prévaut actuellement dans le pays, particulièrement sur la présence de ces groupes fortement armés, qui défient les autorités, qui forcent au déplacement des populations et qui détruisent tout sur leur passage, sans aucune considération pour les vies et les biens. Les membres de la CoEH condamnent les violations systématiques des droits humains dans ces opérations menées par les gangs, particulièrement les violences à l’égard des femmes et des filles et déplorent l’incapacité des dirigeants haïtiens actuels à mettre en place des stratégies pour protéger la population, répondre à ses besoins de base et gérer convenablement le pays.
Les membres de la CoEH s’interrogent sur la manière dont ces groupes armés gagnent chaque jour en puissance, déploient des stratégies militaires efficaces pour prendre le contrôle de larges espaces du territoire, et sont régulièrement et abondamment approvisionnés en armes, en munitions et autres logistiques nécessaires à leurs morbides opérations. La CoEH est inquiète quand elle analyse les informations publiées par des voix autorisées comme L’ONUDC (Organisation des Nations Unies contre la Drogue et le Crime) ou par des autorités des pays voisins comme la République Dominicaine (RD) et la Colombie faisant état d’implication de trafiquants internationaux de drogue, d’armes et de munitions de leurs pays dans les violences en Haïti. Tout laisse croire que la crise de sécurité qui sévit actuellement en Haïti a des ramifications nationales et internationales puissantes. Le pays semble être pris dans l’engrenage d’un vaste réseau de criminalité transnationale organisée qui exploite les faiblesses institutionnelles et infrastructurelles pour capturer l’Etat et étendre leurs tentacules dans toutes les sphères d’activités et dans toute la région de l’Amérique, des Caraïbes et même en Europe.
Au cours de notre assemblée générale, les membres de la CoEH ont aussi parlé du bicentenaire de l’ordonnance du roi français Charles X, le 17 avril 1825, exigeant d’Haïti le paiement d’une rançon de 150 millions de francs or aux colons esclavagistes pour reconnaitre son indépendance pourtant acquise au prix de lourdes luttes menées contre l’esclavage et le colonialisme. Avec 14 bateaux de guerre à bord desquels étaient montés 500 canons prêts à imposer un blocus naval ou déclencher un bombardement, les dirigeants haïtiens d’alors avaient été obligés d’accepter le chantage. Cette dette odieuse a été renforcée par la suite par des prêts contractés auprès de banques françaises pour pouvoir payer les annuités. C’est ce qu’on appelle «la double dette».
En analysant cette tranche d’histoire, nous avions ainsi compris combien ce péché originel couramment appelé «dette de l’indépendance» représente l’une des causes fondamentales de la Pauvreté dans laquelle patauge Haïti aujourd’hui. En effet, cette exigence faite aux lendemains de la proclamation de son indépendance, a empêché la jeune nation fraichement sortie de l’esclavage d’investir dans des infrastructures de base, dans des services à sa population, tels la Santé, l’Education, et a perpétué le cycle d’exploitation et de violence contre lesquels les esclaves s’étaient révoltés.
Cette rançon est une injustice historique. Elle a déclenché un cycle d’extraction, d’endettement et de dépendance à l’égard de l’aide extérieure, conduisant au sous-développement d’Haïti. Cela a également rendu le pays instable et vulnérable à la domination des élites et à l’ingérence étrangère.
La crise actuelle en Haïti (en 2025), où les gangs font la loi, où le peuple dans sa totalité est aux abois, où il est difficile de frayer un chemin qui donne sens à la vie, à certains égards, est en grande partie la résultante de cette rançon subie pendant près de cent ans. En effet, la source première de la gangstérisation en Haïti c’est la misère chronique, les inégalités sociales accumulées et reproduites pendant deux siècles d’étouffement de l’économie du pays par ce néo-colonialisme.
Aujourd’hui, Haïti aux prises à une grande insécurité, a besoin de grands moyens pour se défendre, se protéger, se reconstruire. Nous appuyons la demande de restitution par la France des montants actualisés de cette rançon payée par Haïti qui est estimée aujourd’hui à plus de 20 milliards d’euros, afin de permettre au pays de trouver les moyens pour investir dans la réorganisation et la sécurisation de son territoire, dans la protection de sa population en toute dignité, dans la construction d’infrastructures et la mise en place de services de base. Il ne s’agit pas là de charité, ni d’assistanat, ni d’aide humanitaire, mais de justice réparatrice, de restitution de ressources soutirées injustement et par la violence à une jeune nation qui était fraichement sortie de l’esclavage et du colonialisme.
La Coordination Europe Haïti (CoEH) prend acte de la déclaration du président Français, Emmanuel Macron, le 17 avril dernier, reconnaissant cette injustice faite à Haïti. Elle regrette cependant, qu’aucun engagement concret de Restitution ni de Réparations contre cette injustice n’ait été pris, comme le réclament le gouvernement haïtien, de nombreuses organisations de la société civile haïtienne, de sa diaspora et des organisations solidaires du monde entier. La CoEH félicite le courage de plusieurs organisations françaises, dont ses membres en France, qui se sont mobilisées à l’occasion de ce bicentenaire de l’ordonnance de Charles X pour appuyer la même revendication exprimée par les Haïtiens et Haïtiennes en faveur de la Restitution de cette dette/rançon. Elle encourage les organisations des pays membres ainsi que le peuple français à s’engager résolument aux côtés du peuple haïtien en cette période cruciale de son histoire dans une perspective de justice réparatrice.
La CoEH encourage aussi l’Union Européenne (l’UE), dont plusieurs pays membres avaient eux aussi, d’une façon ou d’une autre, bénéficié de cette rançon imposée à Haïti par la France, de l’esclavage et du colonialisme dans les Caraïbes, à intégrer ce débat sur les Restitution/Réparations dans leur travail et à soutenir Haïti dans cette quête de Justice. Elle demande également à l’UE de poursuivre et renforcer sa collaboration pour un meilleur contrôle du trafic international d’armes, de munitions et de drogue qui déstabilise Haïti.
La CoEH demeure solidaire du peuple haïtien dans sa souffrance et dans son combat pour sortir de la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui et pour prendre en mains, en toute souveraineté et dignité, son destin.
Colette Lespinasse, correspondante de la CoEH en Haïti
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