La nouvelle de l’inscription par l’UNESCO de la cassave dans le registre des patrimoines immatériels de l’Humanité a été reçue avec beaucoup de joie en Haïti, dans un contexte où il n’y a que de mauvaises nouvelles sur le pays. En Haïti comme dans la diaspora, des haïtiens et haïtiennes ont célébré cette décision en mangeant un bon bout de cassave avec du manba (beurre d’arachides). C’est la forme la plus prisée pour consommer la cassave qui est un pain préparé avec du manioc râpé duquel a été extrait le jus qui est toxique.
Cette décision a été prise à la 19ème session du Comité intergouvernemental de Sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Haïti figure parmi une dizaine de pays qui ont travaillé ensemble depuis au moins l’année 2013 pour préparer le dossier de la cassave et le soumettre à l’UNESCO. Parmi ces pays figurent la République Dominicaine, Cuba, Honduras, le Vénézuela, entre autres. C’est donc une reconnaissance multinationale à la préparation de laquelle Haïti a joué un grand rôle. Plusieurs recherches ont été menées tout au cours des années en Haiti et dans différents pays concernés pour déterminer si le produit répond aux critères établis par l’institution onusienne pour classer un fait culturel dans la liste représentative des patrimoines immatériels de l’Humanité. En 2011, le Ministère haitien de la Culture avait inscrit la cassave dans ses registres comme élément faisant partie du patrimoine culturel national.
La cassave, produit dérivé du manioc, est un héritage des peuples Arawaks/Tainos, premiers habitants de la Caraïbe et légué aux ancêtres africains arrivés dans la région avec la colonisation. Elle est consommée dans toute la grande Caraïbes et constitue une véritable tradition culinaire dans tous les coins d’Haïti. Elle est préparée dans le pays différemment selon les zones : douce et plus épaisse dans le Nord, pimentée dans la Grand-Anse, fine dans l’Artibonite, etc. La cassave nourrit le peuple haïtien depuis la fondation de la Nation et perpétue un ensemble de savoir-faire agricoles et industriels ancestraux.
« Au-delà de ses qualités gastronomiques, la cassave reflète la lutte des peuples autochtones et des descendants d’esclaves venus d’Afrique contre les oppressions du colonialisme. En tant que produit issu des traditions amérindiennes, elle incarne la survie d’un patrimoine qui a résisté face aux forces coloniales », a écrit le Dr. Louis Marie Monfort Saintil, Ambassadeur délégué d’Haïti auprès de l’UNESCO, dans une note rendue publique après l’annonce de la décision.
La cassave représente aussi toute une filière économique qui va du petit paysan qui cultive le manioc dans son lopin de terre en passant par les femmes qui participent aux côtés des hommes à la transformation et la commercialisation du produit fini. Si dans le passé, on la trouvait surtout dans les marchés populaires et dans le secteur informel des quartiers, de plus en plus, la cassave est prisée par toutes les couches sociales en Haïti et se retrouve dans les rayons des supermarchés où les stocks s’écoulent rapidement. C’est aussi l’un des produits niches très prisés par des milliers d’haïtiens et d’haïtiennes vivant dans la diaspora. Contrairement au passé, avec la demande en nette augmentation, la cassave ainsi que le beurre d’arachide qui l’accompagnent souvent, tendent à devenir un peu chers et de ce fait inaccessibles aux couches les plus pauvres.
Au cours des 50 dernières années, plusieurs ONG nationales et internationales ont appuyé des organisations paysannes et des institutions haïtiennes dans la mise en place de cassaveries (des unités de fabrication de la cassave), permettant ainsi une certaine modernisation des ateliers de transformation du manioc. Des filières de commercialisation ont aussi été renforcées ce qui a permis une meilleure distribution du produit et la conquête de marchés beaucoup plus importants.
Le manioc qui sert de matière première à la production de la cassave est aussi proposée comme culture résistante pouvant s’adapter aux changements climatiques. C’est une culture semi-pérenne, peu consommatrice d’eau et adaptée aux sols peu riches dont la racine comestible survit plus facilement aux intempéries qui ne manquent de frapper régulièrement Haïti chaque année.
La reconnaissance de la cassave au niveau international offre à Haïti l’opportunité de développer cette filière, de collaborer avec d’autres pays de la Caraïbe qui partagent cet héritage commun. Elle offre aussi l’occasion aux différentes instances nationales de travailler ensemble pour un but commun, celui de porter le plus haut que possible la culture du pays. En effet, plusieurs institutions nationales dont l’Université d’Etat d’Haïti avec ses étudiants et des professeurs chercheurs, le Bureau national d’Ethnologie, le Ministère de la Culture et autres ont participé aux inventaires, photographies, vidéographies qui ont contribué au montage du dossier de la cassave. Plusieurs organisations populaires et paysannes avaient aussi appuyé cette démarche.
La cassave est le deuxième élément du patrimoine culturel haitien à intégrer cette prestigieuse liste de l’UNESCO après la Soupe de Giraumon (Soupe Joumou) en décembre 2021.