Le 25 janvier quatre eurodéputé-e-s (trois Français-es et une Allemande) du Groupe des Verts/Alliance libre européenne se sont adressés sur la situation de crise en Haïti au Vice-Président Josep Borrell, Haut Représentant de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
La lettre des quatre eurodéputé-e-s reprend largement l’analyse et les revendications de Stop Silence Haïti , un manifeste qui est supporté aussi par la COEH. Cette lettre est à la source d’une question parlementaire qui sera posée sous peu au sein du parlement. Voici le texte de la lettre qui arrive à un moment où la position du président Jovenel Moïse est soumise à une pression croissante interne. Nous espérons que cette lettre contribue à rompre le silence du côté de l’Union Européenne sur la crise politique et sociale actuelle en Haïti :
Vice-Président Josep Borrell
Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité
Commission européenne
Monsieur le Vice-Président, Haut Représentant,
La dernière crise que traverse Haïti dure déjà depuis 2018, et risque d’entériner un changement constitutionnel autoritaire et illégal.
Depuis plus de deux ans, le peuple haïtien se soulève avec courage pour la transparence, la justice et la démocratie, malgré l’accroissement de l’insécurité et de la pauvreté dans le pays. Les manifestations s’élèvent notamment contre la corruption minant le pays et révélée par les 1,5 milliards d’euros détournés dans le cadre du scandale Petrocaribe, y compris au profit des proches de l’actuel Président Jovenel Moïse.
Un cap a été franchi ces derniers mois avec la multiplication d’assassinats et l’annonce du gouvernement d’organiser une réforme constitutionnelle et des élections en violation de la Constitution haïtienne et des traités internationaux. Des gangs armés, dont les liens avec le pouvoir ont été documentés, sévissent en toute impunité.
Depuis deux ans, l’Union européenne a maintenu intactes ses relations avec l’actuel Président Jovenel Moïse, sans action réelle contre les massacres ni démarche en soutien aux procès liés au scandale de corruption Petrocaribe. D’un côté, l’UE interroge les conditions actuelles pour des élections libres et légitimes ; de l’autre, elle n’envisage de solution qu’avec et par le biais du Président Jovenel Moïse. En somme, aucune diplomatie européenne alternative à celle déployée par la Maison blanche de Donald Trump n’est développée.
Cette politique est un échec. En deux ans, il n’y a eu aucune avancée sur les procès des divers massacres perpétrés, dont le plus grave, celui de La Saline, ni sur le scandale de corruption Petrocaribe. Les gangs armés se sont multipliés et renforcés. La dérive autoritaire du gouvernement, fonctionnant par décret sans contrepoids parlementaire, limitant les instances de contrôle, s’est accélérée. Le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) a documenté 159 personnes assassinées et 92 autres blessées – y compris des enfants – entre janvier et juin 2020, en raison de la violence liée aux gangs. Des enquêtes nationales et internationales ont mis en cause la responsabilité d’un ancien policier, Jimmy Chérisier, alias « Barbecue », ainsi que les liens entre les bandes armées et le pouvoir, au point d’évoquer un « massacre d’État ».
Et les violences s’accélèrent fin 2020, avec l’assassinat du bâtonnier du barreau de Port-au-Prince, Maître Monferrier Dorval, le massacre de Bel-Air, un quartier populaire du centre de Port-au-Prince, la multiplication des enlèvements et la mise en place inconstitutionnelle d’un Conseil électoral provisoire pour hâter la tenue d’échéances électorales et la réforme de la Constitution.
Un appel international, « Stop Silence Haïti », a été lancé afin de dénoncer le silence et la complicité de la communauté internationale face aux multiples violations des droits humains, y compris sociaux et économiques en Haïti. Il a déjà été signé par les principaux acteurs belges et français travaillant avec/en Haïti, mais aussi haïtiens, espagnols, canadiens, allemands, béninois, sénégalais et uruguayens, ainsi que par la Confédération Syndicale Internationale (CSI), les coordinations européennes des paysans, Via Campesina (ECVC), et des ONG en lien avec Haïti, Coordination Europe-Haïti (COEH).
Les préoccupations soulevées par Stop Silence Haïti rejoignent celles du Parlement européen au sein d’une résolution d’urgence adoptée en 2019, et pour laquelle nous n’avons pas obtenu de suivi et réponses concrètes de la part de la Commission européenne.
L’Union doit répondre aux attentes de sa société civile, défendre ses valeurs et assumer ses responsabilités :
- le conditionnement du soutien économique, politique et moral de l’Union européenne à l’arrêt du processus de réforme annoncé et prévu par le Président Jovenel Moïse et au retour dans le cadre de la Constitution de 1987 ;
- l’appel et l’engagement à garantir les conditions pour des élections libres et démocratiques dans le futur, en mobilisant en ce sens la communauté internationale ;
- le soutien aux processus d’investigation sur les massacres contre le peuple haïtien, de lutte contre l’impunité et pour la transparence, notamment dans le cadre du scandale PetroCaribe.
Nous vous demandons de bien vouloir donner suite à l’ensemble des demandes formulées par le Parlement européen dans ladite résolution de 2019 et de faire la transparence sur les mesures prises par vos services pour mettre la politique étrangère de l’UE en Haïti en conformité avec son objectif de promouvoir, respecter et réaliser l’universalité des droits humains.
En vous remerciant d’avance pour l’attention que vous porterez à la présente, nous vous prions de croire à l’expression de notre plus profonde considération.
Les eurodéputé·e·s
Marie TOUSSAINT
Pierrette HERZBERGER-FOFANA
Mounir SATOURI
Salima YENBOU