Au lieu d’une sortie de crise, l’orientation prise actuellement en Haïti pour changer la Constitution risque de compliquer davantage la situation. En effet, M. Jovenel Moise dont on estime que le mandat comme président de la République a pris fin depuis le 7 février 2021, a déclaré la guerre à la constitution qu’il avait juré de respecter lors de sa prestation de serment. Ses arguments: la loi mère du pays, adoptée massivement après la chute de la dictature des Duvalier en 1987, ne donne pas assez de pouvoir au président de la république. Sans aucun consensus, et sans provision légale, il décide de la changer en violant l’article qui interdit l’organisation de tout référendum pour toucher à cette charte. Cette disposition avait été introduite pour couper court à cette tradition des politiciens en Haïti de se défaire du corset constitutionnel quand ils veulent imposer leur propre volonté à la nation.
Pour pouvoir donner de la crédibilité à son projet, M. Moise s’est doté d’un comité dit « indépendant » pour lui préparer un document. Dans ce comité, on retrouve des personnalités connues qui ont voulu jouer le jeu, parmi elles un ancien président de la République, Me Boniface Alexandre. Sans aucun consensus et sans validation des autres pouvoirs comme le veut la Constitution, il a aussi mis en place un conseil électoral auquel il a donné la responsabilité d’organiser techniquement ce référendum alors que ce n’est pas la prérogative d’une telle institution. Certes, plus de trente ans après son adoption et considérant l’évolution du contexte, une révision de la constitution haïtienne est nécessaire et il est prévu comment le faire. M. Jovenel Moise a mis de côté tous les travaux réalisés pour amender la Constitution et a décidé de fabriquer une nouvelle, à sa mesure.
Un premier draft de son projet est déjà disponible et les analystes qui l’ont consulté le considèrent comme étant très liberticide. Le projet constitutionnel de M. Moise annule carrément un ensemble d’acquis démocratiques pour lesquels le peuple haïtien s’était battu, notamment celui de pouvoir contrôler l’action des hommes et des femmes au pouvoir. Il change le régime politique actuel, donne des pouvoirs illimités au président de la république et à ses ministres qui n’auront plus à rendre compte à la nation après leur passage au pouvoir. Dans la mêlée, le projet fait de nombreuses écorches aux institutions indépendantes et de contrôle. Avec une telle constitution, adieu le procès sur les fonds Petrocaribe, adieu les sanctions contre les actes de corruption dont M. Moise est accusé et qui ont fait l’objet de tant de mobilisations de la part des organisations de la société civile haïtienne ces dernières années.
Cette initiative de changer la constitution est dénoncée par de nombreux secteurs de la vie nationale. Mais M. Moise fait la sourde oreille et poursuit son chemin. Dans cette entreprise, il bénéficie en sourdine de l’appui de la fameuse «communauté internationale » regroupée en une plateforme des représentations diplomatiques dans le pays appelée Core Groupe, laquelle joue un rôle fondamental dans les décisions politiques du pays. L’Union européenne est la première instance à avoir, récemment et publiquement déclaré qu’elle n’appuiera pas financièrement ni le référendum, ni les élections et qu’elle n’enverra pas de mission d’observation en Haïti. Les autres éludent la question et préfèrent parler de tenue d’élections sans jamais mentionner explicitement le référendum. A travers son actuelle mission en Haïti dénommée BINUH, les Nations-Unies appuient dans les faits ce processus de changement de la Constitution haïtienne en fournissant des conseils tec
hniques au comité de rédaction, en finançant des débats, tandis que le PNUD gère pour l’Etat haïtien la caisse des élections, dont le Référendum et l’UNOPS(une autre structure des Nations-Unies) s’occupe de la logistique.
Les mises en place pour ce référendum prévu pour le 27 juin s’accompagnent d’une intensification de l’insécurité, des cas de kidnapping et du contrôle par les groupes armés de nombreux quartiers populaires, réservoirs de votes. Selon les analystes, cette montée spectaculaire de l’insécurité a pour objectif d’intimider la population pour lui faire avaler la pilule. Mais déjà, des voix se sont élevées un peu partout où l’on essaie de présenter le projet constitutionnel pour dénoncer ce forfait et réclamer de préférence le retrait de M. Jovenel Moise du pouvoir.
Ce référendum, s’il a lieu, connaitra une faible participation populaire et risque de provoquer de nombreux cas de violence dans le pays. La mise en application de cette nouvelle constitution, qui entrera en vigueur très rapidement selon les dispositions déjà prévues, demeure très hypothétique. Cet entêtement de M. Moise à vouloir changer la loi mère du pays contribuera à envenimer la crise politique en y apportant un nouvel élément, celui d’une constitution contestée.