La communauté internationale soutient un gouvernement corrompu et incompétent
Un président assassiné, un tremblement de terre massif suivi d’une tempête tropicale et des milliers de migrants en quête d’une vie meilleure arrêtés à une frontière. Des gangs armés qui contrôlent une grande partie de la capitale. Et maintenant numéro un sur la liste des pays avec le plus d’enlèvements par habitant. Haïti traverse une période difficile. Et pourtant, il y a des gens qui croient en un avenir.
Le 15 octobre, les membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies se sont réunis pour discuter de leur implication en Haïti. Le mandat du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti, en abrégé BINUH, qui a débuté en 2019, a expiré ce jour-là. Les quinze membres du Conseil ont décidé à l’unanimité d’une prolongation de neuf mois, avec remarque qu’une évaluation devrait être faite dans les six mois pour examiner comment l’Agence peut fonctionner plus efficacement. Et comment le BINUH peut soutenir la coopération entre les autorités haïtiennes, la société civile et les autres parties prenantes, ainsi que renforcer l’état de droit et promouvoir le respect des droits humains.
Année mouvementée
Toutes les parties sont appelées à participer à un dialogue national qui devrait permettre à terme des élections pacifiques, justes, libres et transparentes, de préférence dans les meilleurs délais. Linda Thomas-Greenfield, représentante au Conseil au nom des États-Unis, a déclaré qu’Haïti avait connu une année particulièrement mouvementée et que la résolution maintenant adoptée aiderait l’ONU à poursuivre son important travail en Haïti. « Ce n’est pas le moment pour le Conseil de Sécurité de s’enfuir », mais de s’assurer qu’Haïti reçoive le soutien dont il a besoin.
En Haïti, cette décision de l’ONU aura été accueillie avec scepticisme. S’il lui a été prêté attention : les Haïtiens ont autre chose en tête. Le Parlement est dissous depuis près de deux ans, le Président a été assassiné en juillet, un énorme tremblement de terre a causé mort et destruction dans le sud-ouest du pays, et des gangs armés rendent la vie impossible.
Cent mille dollars
Haïti est aujourd’hui l’un des pays les plus dangereux au monde. Selon le cabinet de conseil britannique Control Risks, comme on a pu le lire dans le Washington Post, il y a actuellement plus d’enlèvements à Port-au-Prince en termes absolus que dans les villes beaucoup plus grandes de Bogotá, Mexico et São Paulo réunies. Il y a eu six fois plus d’enlèvements cette année qu’à la même période l’année dernière. Il y a eu 395 enlèvements au cours des six premiers mois, et 117 en septembre. Et personne n’est à l’abri : des médecins sur le chemin du travail, des pasteurs en train de prêcher, un bus plein de passagers, et même des agents en patrouille sont kidnappés pour des montants allant d’une centaine à plus de cent mille dollars. Et au moment où j’écris ces lignes, la nouvelle arrive de l’enlèvement d’un bus avec des missionnaires américains, qui se rendaient à l’aéroport après avoir visité un orphelinat.
Les analystes attribuent la recrudescence des enlèvements au désespoir grandissant dans le pays, à la corruption croissante de la police et à l’augmentation de la violence des gangs dans un vide politique. On dit que les gangs haïtiens collaborent avec des politiciens et des hommes d’affaires influents. Selon le Washington Post, certains analystes suggèrent que la vague d’enlèvements est liée à des accords rompus et à des alliances changeantes après le meurtre de Jovenel Moïse.
Quelles qu’en soient les raisons, il est clair que le Bureau des Nations Unies n’a atteint aucun de ses objectifs (renforcement de l’état de droit, respect accru des droits de l’homme, soutien à la police et aux autorités). Les Haïtiens ont depuis longtemps perdu confiance dans la communauté internationale.
Daniel Foote : les dirigeants ont « violé » le pays
Mais alors qu’il devrait être clair pour toute personne impliquée en Haïti que les politiques actuelles de l’ONU ne fonctionnent pas et aggravent la situation, on n’arrive pas à convaincre cette même communauté internationale, États-Unis en tête, qu’il faut agir autrement. Même des voix de l’intérieur, comme celle de l’envoyé spécial américain en Haïti, Daniel Foote, sont également ignorées. Foote a été nommé en juillet à la suite de l’assassinat du président Moise, et a démissionné à la suite de la décision du gouvernement américain d’expulser vers Haïti des milliers d’Haïtiens tayant traversé la frontière du Texas à partir du Mexique. Ceci malgré la situation dangereuse décrite ci-dessus. Il a récemment expliqué sa décision lors d’une audition avec des membres de la Commission des Affaires Etrangères de la Chambre des Représentants. Les États-Unis ont en fait décidé que des élections devraient avoir lieu en Haïti, et à cette fin ont bénit et soutenu les dirigeants politiques qui ont « violé » le pays, a-t-il déclaré à la commission. « Nos interventions politiques n’ont jamais fonctionné. Nous avons toujours privilégié la stabilité, plutôt que de rechercher les causes de l’instabilité. » Foote n’est plus en mesure de défendre la politique américaine en Haïti.
Lumière dans la nuit
Il n’est pas le seul à critiquer les politiques du président Biden. Au sein du Parti démocrate, il y a plus d’opposants, comme Andy Levin, représentant de l’État du Michigan et membre de la commission des affaires étrangères. Mais malgré toutes les difficultés, Levin a aussi signalé, lors de l’échange avec Foote, un nouveau développement, une lumière dans la nuit. Il l’a même qualifié de l’un des développements les plus importants en Haïti depuis la chute de la dictature des Duvalier en 1986. Levin fait référence à l’accord du 30 août dernier conclu lors de la Conférence Citoyenne pour une Solution Haïtienne à la Crise, organisée par la Commission pour la Recherche d’une Solution Haïtienne à la crise. L’accord porte sur un plan détaillé pour sortir ensemble de la crise et a depuis été signé par plus de 650 organisations haïtiennes. Parmi elles, des partis politiques, des syndicats, des organisations paysannes, la Conférence épiscopale haïtienne et la Fédération des Églises protestantes, des organisations de femmes et de défense des droits humains. Bref, une large représentation de la société haïtienne.
La première priorité de l’accord est de créer la stabilité nationale, condition préalable au retour à une situation constitutionnelle normale et au rétablissement de l’ordre démocratique. Ce sont de belles paroles, mais elles sont suivies d’une feuille de route détaillée pour une période de transition de deux ans, avec des propositions pour son organisation et la manière dont l’exécutif devrait être contrôlé pendant cette période. Un Conseil National de Transition (CNT) a déjà été nommé et se compose de vingt-sept représentants d’organisations sociales et de vingt-cinq représentants de partis politiques. La période de transition commencera avec l’installation d’un gouvernement provisoire, qui devrait au moins garantir que les gens puissent à nouveau marcher en toute sécurité dans les rues. Les bandes armées, qui contrôlent une partie croissante de la capitale Port-au-Prince doivent être neutralisées. La sécurité est une condition préalable absolue à des élections libres qui constitueront la dernière partie de la période de transition.
Un parti politique est exclu de cet accord national : le parti de Jovenel Moïse, le président assassiné, et de son prédécesseur Michel Martelly, le PHTK, car ce parti est tenu pour responsable des problèmes des dix dernières années. La plupart des Haïtiens s’accordent donc à dire que l’actuel Premier ministre, Ariel Henry, qui appartient au PHTK, ne peut pas faire partie de la solution. Foote, l’ancien envoyé spécial en Haïti, l’a également souligné lors de son audition avec la commission des Affaires Etrangères de la Chambre des Représentants.
Énergie positive
Plusieurs Haïtiens de premier plan appellent à l’attention des médias américains pour leur pays en crise. Le réalisateur de renommée internationale Raoul Peck (connu pour le film I am not your Negro sur la vie de James Baldwin) a écrit sur le site Just Security à propos de l’accord du 30 août qu’il n’avait pas vu une telle énergie positive en Haïti depuis la chute de Duvalier. Il a assisté aux réunions de la Commission via Zoom. En commentant des documents et en faisant leurs propres propositions, lui et de nombreux autres Haïtiens ont participé au processus de formulation de l’accord du 30 août. Il souligne que le moment est maintenant venu pour les États-Unis de reconnaître la réussite historique de ce nouvel accord de la société civile, de cesser de faire obstacle à son succès et de mettre fin à leur soutien au « régime corrompu actuel».
Missionnaires américains
Un témoignage très personnel a paru le mois dernier dans le magazine d’information américain Newsweek. Pierre Espérance, directeur de l’organisation haïtienne de défense des droits humains RNDDH, y décrit son enfance pendant la dictature et sa première introduction à la démocratie à travers des rencontres avec des missionnaires américains et européens. Ils expliquaient qu’il existe d’autres modes de vie que sous une dictature. « J’ai compris ce qu’était la démocratie parce que des Américains me l’ont dit. J’ai compris la primauté du droit parce que j’en ai entendu parler par des Américains. Depuis lors, j’ai lutté toute ma vie pour les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit.
Dès lors, cela fait mal de voir des migrants haïtiens se voir refuser l’entrée aux États-Unis. Et cela ressemble à de la trahison, car la raison pour laquelle ils ont quitté leur foyer est la politique américaine qui détruit les institutions démocratiques en Haïti. « Les États-Unis choisissent de continuer à soutenir ceux qui sont au pouvoir, peu importe à quel point ils sont corrompus ou incapables, le tout au nom de la stabilité. Mais la déstabilisation est le résultat, entraînant la fuite à l’étranger d’un nombre croissant d’Haïtiens. », écrit Espérance.
Je m’appelle Peter Hope !
« Chaque jour, nous devons surveiller l’actualité à la radio ou via Whatsapp pour voir quel itinéraire nous pouvons emprunter pour aller au supermarché ou au travail… Il y a rarement de l’électricité et il faut faire la queue pour avoir du carburant pour un groupe électrogène ou une voiture. Les hôpitaux et les écoles sont fermés à cause du danger. Espérance décrit comment les bandes armées contrôlent près de la moitié du pays. « Si les États-Unis et d’autres pays mettaient fin à leur soutien au parti au pouvoir PHTK, les gangs perdraient une grande partie de leur pouvoir. »
Espérance termine son plaidoyer comme il a commencé, en rappelant comment il s’est inspiré de pays démocratiques comme les États-Unis. « Et je le suis toujours. J’espère juste que les responsables américains ne considèrent pas ces idéaux démocratiques comme quelque chose uniquement pour leur propre pays. J’espère qu’ils propagent également ces idéaux lorsqu’ils élaborent une politique étrangère pour mon pays – et lorsque les gens de mon pays dévasté demandent protection à la frontière américaine. »
Je connais Pierre Espérance depuis plus de vingt ans et je lui ai parlé d’innombrables fois, ici aux Pays-Bas et en Haïti. Je l’ai souvent accompagné aux Pays-Bas lors de visites au Ministère des Affaires étrangères ou lors de rencontres avec des journalistes. La question venait toujours : « Comment faites-vous pour continuer ce travail dans ces circonstances ? Où voyez-vous une lumière ? » Sa réponse était invariablement : « Comment puis-je le faire autrement ? Il y a toujours de l’espoir. Je m’appelle Peter Hope !
Cet article est écrit à titre personnel et a été initialement publié sur www.lachispa.nl