Haïti traverse une période de bouleversements politiques majeurs dans un contexte de crise aggravée. En l’espace d’un mois, la présidence du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le poste de Premier ministre ont changé de titulaire, reflétant l’instabilité persistante au sommet de l’État. Parallèlement, la situation sécuritaire s’est détériorée, les groupes armés gagnant du terrain et les violences perturbant la vie quotidienne, notamment avec la suspension de tous les vols internationaux. Ces défis sont exacerbés par des allégations de corruption au sein du CPT, ce qui sape davantage la confiance du public envers les dirigeants de transition. Le nouveau Premier ministre, Alix Didier Fils-Aimé, se trouve désormais sous une immense pression pour faire face à ces crises croissantes et redonner espoir à la nation.
En un mois, plusieurs mouvements se sont opérés au plus haut sommet de l’Etat haïtien dont la Constitution prévoit un exécutif à deux têtes : un.e président.e et un.e premier.ère ministre. Le 7 Octobre 2024, M. Leslie Voltaire a remplacé M. Edgard Leblanc Fils comme président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) dans le cadre de la présidence tournante que cette structure collégiale avait décidée. Le 11 novembre, M. Alix Didier Fils-Aimé a pris la place de l’ex-Premier ministre Garry Conille révoqué après cinq mois de fonction, à la suite d’un grave conflit avec le CPT. Un nouveau cabinet ministériel a été nommé. Quelques ministres du gouvernement déchu restent en place, mais plusieurs têtes sont tombées comme celle de la Ministre des Affaires Etrangères, Mme Dominique Dupuy, qui était en conflit ouvert avec le CPT.
Lorsqu’en avril 2024 la majorité des partis politiques haïtiens, avec la médiation de la CARICOM, avaient fini par trouver un accord et adopté la formule du CPT accompagné d’un Premier ministre pour diriger le pays, la population s’était sentie soulagée. Malgré quelques inquiétudes concernant la composition du CPT, l’on pensait à ce moment que les nouveaux dirigeants allaient tout mettre en œuvre pour combattre l’influence des gangs et les démanteler d’autant plus que les premiers soldats de la force Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS) dirigée par le Kenya, étaient sur le point d’arriver. L’on s’attendait à voir rapidement le gouvernement à l’œuvre pour aider les déplacés à rentrer chez eux, commencer à remettre le pays sur les rails et préparer des élections démocratiques. Mais très vite ce sera le désenchantement: beaucoup de promesses jamais tenues de la part du Premier ministre Conille, sinon de multiples Tweet/X ou des photoshops et surtout des voyages à l’étranger. Du côté du CPT, très peu d’avancées dans les décisions qu’il doit prendre, comme si la machine de l’État haïtien s’était embourbée, en panne, sans pouvoir avancer. Et puis scandale! Trois (3) des membres de cette structure présidentielle sont impliqués dans une tentative de trafic d’influence pour maintenir en poste le président d’une banque de l’État.
Depuis lors, au lieu de concentrer les efforts sur les besoins de la population, les yeux sont rivés vers le CPT empêtré à qui l’opinion publique réclame le retrait des trois conseillers impliqués. Malgré un rapport accablant de l’ULCC (Unité de Lutte Contre la Corruption), ces messieurs sont seulement écartés de la présidence tournante, mais maintenus à leurs postes avec tous les privilèges et participent à toutes les décisions, en attendant une décision de Justice. Aucun des conseillers n’a le pouvoir de les démettre et la plupart ne se prononce pas ouvertement sur ce dossier. C’est dans ce cadre que M. Leslie Voltaire, représentant du parti Fanmi Lavalas, a pris le tour d’un des conseillers écartés en assumant pour une période de six (6) mois la coordination de la structure présidentielle. De toute façon, cette question de corruption fragilise le CPT et apporte de l’eau au moulin des courants qui étaient dès le départ hostiles à cette formule présidentielle. Ces derniers réclament de préférence la nomination d’un juge à la Cour de Cassation pour diriger le pays, estimant que la formule CPT est trop difficile à manœuvrer et surtout trop coûteuse.
La prise de fonction du nouveau Premier ministre Fils-Aimé choisi pour remplacer M. Conille déchu a été vite fait dans l’après-midi du lundi 11 novembre 2024, malgré les tentatives infructueuses de ce dernier pour l’en empêcher. Entretemps, la situation sécuritaire ne cesse de se détériorer. Durant les cinq mois de l’ex-Premier ministre Garry Conille, le pays a vécu les pires massacres jamais enregistrés, les groupes armés ont gagné du terrain et de la puissance jusqu’à tirer sur des avions dans l’espace aérien de Port-au-Prince. Avec ce nouvel incident survenu le même jour de l’entrée en fonction du nouveau Premier ministre, désormais tous les vols internationaux en direction ou en partance de Port-au-Prince sont suspendus. Le pays est de nouveau bloqué. M. Fils-Aimé arrive à la tête du gouvernement dans un contexte extrêmement difficile, avec une capitale pratiquement assiégée de tous les côtés.
Le nouveau Premier ministre est un homme d’affaires de 53 ans, avec très peu d’expériences politiques, mais de nombreux contacts dans le milieu des affaires. Son nouveau gouvernement dont la formation a suscité beaucoup de tractations avant que les noms soient publiés a du pain sur la planche. La population n’en peut plus et attend des gestes concrets pour combattre l’insécurité et la corruption avant de lui faire confiance.
Sera-t-il capable de faire la différence en offrant au pays de nouvelles perspectives ? Les prochains jours diront le reste.