Depuis le premier juin, la saison cyclonique a débuté pour Haïti et pour toute la zone Caraïbes. Avant même cette date, la nature a commencé à demander à Haïti des comptes sur ce qu’il fait, en tant que pays, de son environnement. En effet, après une longue période de sécheresse qui commençait à inquiéter, des pluies, très abondantes, sont arrivées à la fin du mois de mai 2019. La saison cyclonique vient à peine de démarrer, que l’on compte déjà des victimes, des communautés inondées, des infrastructures endommagées et la circulation des personnes et des biens paralysée sur des artères importants du Nord comme au Sud.
L’aggravation de la crise politique, économique et surtout de gouvernance constatée depuis l’arrivée au pouvoir de M. Jovenel Moise à la tête du pays, a des conséquences incalculables sur un environnement déjà grabataire. Dans les villes, les déchets sont de moins en moins ramassés. Ils sont jetés dans les égouts ou sur les trottoirs et vont ainsi obstruer les canaux de drainage. Tout le monde, y compris les mairies, se plaignent de manque de moyens pour justifier leur inactivité. Et les citoyens et citoyennes qui participent à la production des déchets ne se sentent pas encore concernés et ne changent pas de comportements.
D’un autre côté, face aux problèmes d’insécurité alimentaire qui affecte particulièrement le milieu rural, l’exode des paysans vers les villes s’est accentué et la demande en charbon de bois aussi. On est passé de 52% de la population vivant en milieu rural en 2012[1] à 45.65% en 2017[2] et cette différence s’accentue d’année en année. Cette migration du rural vers l’urbain dans un contexte de paupérisation a un impact significatif sur les ressources ligneuses : une augmentation de la demande en charbon de bois pour les villes dont les ménages utilisent encore à 70-80% le charbon de bois comme principale source d’énergie. Et la satisfaction de cette demande engendre une accélération du processus de déboisement( taux de couverture forestière d’Haïti est passé en un siècle de 60% à 4%, sans compter les constructions anarchiques pour accueillir tant de nouveaux migrants dans les villes.[3] Un cercle vraiment vicieux qu’il faut rompre !
En Haïti aujourd’hui, les gens réclament à cor et à cri la démission du président à cause de son implication (selon tous les rapports publiés) dans un scandale de dilapidation des fonds Petrocaribe et en raison aussi de l’inflation galopante (17% en mai 2019) et la dépréciation de la monnaie locale (la gourde) par rapport au dollar américain. Mais pour des observateurs avisés, la crise environnementale devrait inquiéter davantage la population que la crise politique et économique. La mobilisation en faveur de l’environnement devrait être plus importante que celle observée pour les questions de gouvernance. En effet, quel programme politique ou économique, aussi pertinent soit-il, peut-on développer dans un pays totalement dévasté, affaibli par les catastrophes, extrêmement vulnérable aux moindres aléas climatiques. Le relèvement de l’environnement et sa protection durable est la première priorité pour Haïti aujourd’hui. Tout le monde devrait s’y mettre.
Malheureusement, les esprits sont ailleurs. Heureusement qu’il y a quand même quelques groupes et individus entêtés qui essaient de faire quelque chose, comme les familles agro-écologiques ou les groupes amis de l’environnement. Ces derniers profitent de la saison pluvieuse pour mener quelques actions dans l’objectif de sauver l’environnement. « Planter des arbres, Planter de l’eau ». Tel a été le slogan adopté par l’organisation des paysans de Vallue(APV) qui organisait récemment une campagne de reboisement dans les bassins versants de la région des Palmes(Sud-Ouest d’Haïti). J’ai aimé ce slogan, car effectivement, en plantant des arbres, on effectue une action qui permettra de retenir l’eau de pluie pour alimenter les sources, assouvir un peu plus tard notre soif tout en limitant les dégâts souvent provoqués par le déferlement des eaux de ruissellement non drainées et non contrôlées. Quel paradoxe : Alors que des communautés s’écroulent sous les eaux en furie, l’eau pour la boisson et pour toute sorte de besoins commence à manquer aujourd’hui en Haïti ! Comme dit une chanson populaire « Se ak goj seche, n ape neye = Nous sommes en train d’être noyés avec la gorge asséchée ». De tous les débats actuellement en cours en Haïti, la voix de l’environnement sera-t-elle entendue ?
Colette Lespinasse
[1] https://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/121926/La-population-haitienne-toujours-rurale-a
[2] https://data.worldbank.org/indicator/SP.RUR.TOTL.ZS?locations=HT
[3] http://hougansydney.com/actualites-en-francais/le-probl%C3%A8me-du-charbon-de-bois-en-ha%C3%AFti-qui-sont-les-millionnaires-de-cette-industrie-