Ces derniers temps, le président de la république d’Haïti, M. Jovenel Moise, a le vent en poupe et plusieurs fers au feu. Tantôt il agite le dossier des élections qu’il prétend vouloir réaliser dans le meilleur délai, tantôt il veut fabriquer coûte que coûte une nouvelle constitution. Pour les élections, il n’a pas encore annoncé de date et ne dispose d’aucun instrument indispensable pour une telle opération, dont une structure électorale. Après la démission en bloc du Conseil Électoral Provisoire(CEP), le président cherche par tous les moyens des alliés pour se constituer un nouveau. Mais les secteurs qui participent traditionnellement à la composition du CEP ont affirmé que sans un véritable consensus dans le pays, ils ne marcheront pas. Mais le président a déjà annoncé avoir déjà dans sa poche plus de sept(7) noms de personnes qui composeront son Conseil électoral.
Parallèlement, le président met tout en œuvre pour fabriquer une nouvelle Constitution. Certains se demandent qu’est-ce qui vient en premier : la Constitution ou des élections ? Personnes ne voient clair dans les intentions du président. En tout cas, tout au cours du mois d’aout 2020, chaque semaine, des activités sont organisées au Palais national au cours desquelles, des groupes inconnus jusqu’ici, viennent lui présenter leurs propositions pour une nouvelle constitution. On a vu aussi dans les rues de Port-au-Prince, de nombreuses banderoles revendiquant la même chose. On a aussi écho de réunions, tout azimut, organisées dans des villes de province sur le même sujet. Une belle machine semble être en branle pour accoucher d’une nouvelle Constitution, sans la participation des secteurs vitaux de la société, par un président décrié dont on réclame le départ et dans un contexte de grande crise économique et politique.
Le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) qui a dans son mandat l’appui à la préparation d’une nouvelle constitution en Haïti reste silencieux. Plus d’un se demande si les Nations-Unies sont derrière toutes ces manœuvres qui constituent une violation flagrante du droit fondamental du peuple haïtien de se doter de règles pour le diriger. Dans une note de réflexion sur la présence du BINUH en Haïti, plusieurs organisations de la société civile avaient, en janvier 2020, lancé la mise en garde suivante: « Les organisations s’inquiètent quant au fait que la lettre du Secrétaire Général Antonio Guterres en date du 13 mai 2019 prévoit un appui du BINUH à la réforme constitutionnelle du Gouvernement haïtien…… Les OSC haïtiennes mettent en garde un possible appui des Nations-Unies à cette réforme constitutionnelle au moment où les institutions démocratiques du pays sont dysfonctionnelles et le président de la République très décrié ».
La constitution actuellement en vigueur avait été votée en 1987 après la chute de Jean Claude Duvalier, dans l’allégresse d’un peuple content d’avoir jeté un dictateur féroce et déterminé à emprunter la route de la démocratie et du progrès. Tout a été fait, y compris des coups d’état militaires, pour empêcher son application, surtout dans ces parties innovatrices. A entendre les détracteurs et surtout le président, l’actuelle constitution ne lui donne pas assez de pouvoir pour diriger. Il veut donc se défaire d’un corset gênant pour retourner à des pratiques antérieures où le président avait tous les pouvoirs. Certes, après plus de 30 années, tout le monde admet qu’il serait nécessaire de réviser la constitution ou d’en faire une nouvelle. L’opposition, elle aussi, plaide pour une nouvelle constitution, mais pas dans un tel contexte, et surtout sans aucun consensus. On ne veut pas non plus d’un document fabriqué dans des officines obscures pour retirer les acquis démocratiques gagnés de haute lutte par le peuple haïtien après 1986.
Alors que cette danse macabre se joue, l’insécurité ne fait qu’augmenter. Tous les jours, des assassinats spectaculaires sont enregistrés emportant des vies humaines dans tous les secteurs, tandis que la répression dans les quartiers populaires se poursuit. Le dernier assassinat en date qui a fait beaucoup d’écho est celui de l’avocat Monferrier Dorval, éminent professeur de droit constitutionnel, bâtonnier de l’ordre des avocats qui a été froidement assassiné sur la cour de sa résidence, dans la soirée du vendredi 28 Aout 2020. Petit à petit la peur s’installe en Haïti. Parallèlement des mobilisations sont annoncées contre ces dérives.
Dans l’histoire d’Haïti, les dictatures commencent toujours ainsi : la fabrication d’une nouvelle constitution qui impose de nouvelles règles avec souvent l’appui d’une certaine communauté internationale et des élections fabriquées sur mesure. Haïti est-elle à la croisée des chemins de l’installation d’une nouvelle dictature.