Au début du mois d’Août 2020, le Ministère de l’Education Nationale a autorisé la réouverture des écoles en Haïti fermées depuis mars, suite à l’apparition des deux premiers cas de COVID-19. Depuis lors, malgré la canicule, on observe très tôt le matin, des enfants en uniformes empruntant le chemin de l’école et plusieurs universités ont rouvert leurs portes. Tout à l’air de bien fonctionner pour le système éducatif haïtien, même si les mesures de protection contre la pandémie sont de moins en moins observées. Mais ce n’est qu’une apparence. De nombreux enfants ne sont pas vraiment retournés à l’école parce que leurs parents n’ont pas les moyens de payer.
En Haïti, 80% de l’éducation reposent sur le dos des parents qui doivent se saigner pour payer les frais scolaires, le transport, la nourriture, les matériels etc. afin de faciliter l’accès de leurs progénitures à un centre d’éducation. L’Etat assume à peine 20% du système et ceci dans de très mauvaises conditions. Les écoles publiques sont souvent en grève. Ici et là, les enseignants du secteur public réclament sans cesse le paiement ou l’augmentation de leurs salaires, leur lettre de nomination ou des améliorations dans leur environnement de travail. Parfois, faute d’un minimum de gouvernance, des enseignants viennent travailler quand ils/elles le veulent, et ce sont les enfants qui en paient les conséquences dans leur niveau de performance.
Si autrefois, on pouvait trouver au sein des écoles publiques des enfants issus de toutes les couches sociales, aujourd’hui ce n’est pas le cas. De plus en plus, les familles qui ont un minimum de moyens désertent le public au profit du privé. Les écoles de l’Etat sont surtout fréquentées par les couches les plus pauvres et la qualité de l’enseignement dans ce secteur ne cesse de se dégrader. Les inégalités sociales se reflètent avec force dans le système scolaire haïtien.
Petit à petit, une sorte de faussé s’établit entre différentes catégories d’écoles : les congréganistes, les écoles privées des couches aisées, les écoles communautaires, les « petites écoles », les écoles publiques, etc. Certaines, souvent dirigées par des religieux et religieuses ou par des éducateurs chevronnés, se détachent du lot et sont présentées comme les modèles ou les « bonnes écoles », à côté des autres, la grande majorité, qualifiées « d’écoles borlettes ». Au fur et mesure, s’installe dans le système éducatif haïtien une sorte d’apartheid avec des écoles à plusieurs vitesses. De plus en plus, alors que la population augmente, L’Etat délaisse sa responsabilité de garantir le droit à l’éducation de qualité pour tous les enfants sans distinction.
La COVID-19, et la crise socio-économique qui secoue le pays ont renforcé ces inégalités et mis au point de créer une grande tension dans la communauté éducative. De nombreuses familles ont perdu leurs emplois, leurs moyens de subsistance ou ne peuvent plus compter sur les transferts de l’étranger pour l’éducation de leurs enfants. Face à l’incertitude d’une année scolaire qui fonctionne en dents de scie, nombreux sont les parents qui ont choisi de ne pas envoyer leurs enfants à l’école, préférant attendre l’ouverture de la prochaine année scolaire. Tandis que les élèves plus « chanceux » qui ont eu accès à l’Internet et à un peu d’électricité ou qui fréquentent des écoles très exigeantes sont en train de boucler leur « année scolaire », édentée de plusieurs mois.
En plus de tout cela, les actions des groupes armés, avec plus de neuf massacres en une année dans des quartiers populaires de Port-au-Prince et dans la zone de l’Artibonite, ont occasionné la paralysie totale des activités dans de nombreuses écoles. Plusieurs établissements ont été obligés de fermer leurs portes sous la menace de ces groupes ou parce que les professeurs ne peuvent pas y venir assurer les cours. Tout cela se passe, dans une sorte d’indifférence d’une partie de la population et des autorités qui se préparent pourtant à organiser des examens officiels en octobre prochain sans se soucier de la situation de ces nombreux enfants forcés de décrocher par manque de moyens ou à cause de l’insécurité ambiante. Le gouvernement n’a pas non plus respecté sa promesse de fournir un appui aux écoles privées afin que ces dernières puissent payer les professeurs dont la plupart n’ont pas reçu leurs maigres salaires depuis le mois de mars 2020.
Face à cette situation, les syndicats du secteur public ont lancé, depuis la réouverture des classes, un mouvement de grève pour exiger de meilleures conditions de travail, des mesures garantissant la protection de leurs membres, celles des élèves face à la COVID-19 et une plus grande attention pour les enfants des quartiers victimes d’insécurité. Ainsi, malgré la reprise, de nombreuses écoles publiques tant dans la capitale qu’en province restent encore fermées en raison de ce mouvement de grève qui a suivi la période de confinement.
Comme réponse à ces revendications, le ministre de l’Education nationale, M. Josué Agénor Cadet, a employé la répression en révoquant des professeurs syndicalistes ou en les mutant vers des lieux éloignés de leurs résidences. Cela n’a fait qu’augmenter la tension. Indignés, des élèves des écoles publiques ont gagné les rues pour exiger la présence de professeurs dans les salles de classe, surtout à l’approche des examens officiels qu’ils devront subir coûte que coûte, sans aucune considération de leur situation. Dans la foulée, des groupes d’élèves dénonçant une forme d’apartheid scolaire en Haïti, ont investi des écoles privées qui fonctionnent. Ils s’en prennent surtout à des écoles congréganistes qui, selon eux, sont insensibles à leur sort. Quelques dégâts dans les mobiliers sont enregistrés et la peur s’est installée chez des enfants fréquentant ces établissements. Face à cette situation, le gouvernement a encore durci le ton en lançant des mandats d’amener contre des syndicalistes militants qu’il accuse de pousser des écoliers au désordre.
« Ce système éducatif tel qu’il fonctionne en Haïti, ne peut plus tenir », a déclaré une observatrice avisée. Selon elle, ce qui se passe aujourd’hui dans les écoles haïtiennes, est indicateur d’un niveau de pourrissement d’une situation d’inégalités, d’injustice sociale qui ne peut plus durer. Il y a urgence pour une réforme générale et en profondeur de l’Etat. Et l’une des principales préoccupations de cette réforme devra être l’organisation d’une école inclusive et de qualité.