Un tribunal populaire symbolique exige de l’ONU Justice et Réparation
Ce mois d’octobre rappelle le 10ème anniversaire de l’introduction en Haïti du choléra par la négligence de troupes des Nations Unies qui faisaient partie de la MINUSTAH(Mission des Nations Unies pour la Stabilité en Haïti). A cette occasion, plusieurs organisations haïtiennes ont réalisé un tribunal populaire pour juger symboliquement les Nations Unies, l’Etat haïtien et la firme SANCO SA pour négligence grave ayant causé la mort de plus de 8,000 personnes, contaminé plus de 10,000 autres, sans compter les préjudices économiques, sociaux et moraux causé aux victimes et au pays tout entier.
Dans ce tribunal tenu le 20 Octobre 2020 à Port-au-Prince, des victimes réelles et représentants/tes de leurs associations ont pris la parole pour expliquer ce qu’ils ont vécu quand ils ont attrapé le choléra, tandis que des personnalités du monde du Vodou, de la Santé et de la paysannerie ont apporté des témoignages sur les conséquences de l’épidémie du choléra sur la population haïtienne.
Les victimes et leurs défenseurs ont présenté des arguments solides pour démontrer comment, dans cette affaire, les Nations-Unies ont violé plusieurs droits humains dont le droit à la vie, à la santé, à l’eau, à un environnement sain, à la Non-discrimination, etc. Ils ont rejeté d’un revers de main le prétexte d’immunité évoqué par l’ONU pour se dérober de ses responsabilités dans l’introduction du choléra en Haïti. « Une des premières responsabilités des Nations Unies c’est de promouvoir et faire respecter les droits humains. Tout comme les Etats, l’ONU a l’obligation de respecter elle aussi ces droits à travers ses institutions et missions. Elle ne peut donc, en aucune façon, évoquer l’immunité pour se dérober de cette responsabilité » avait conclu le tribunal avant d’accepter de recevoir l’affaire.
A rappeler que pendant plus de six ans, l’ONU avait observé une posture de déni dans cette affaire d’introduction du choléra en Haïti. Mais face à la mobilisation nationale et internationale de plusieurs organisations de droits humains, de scientifiques de plusieurs universités américaines et européennes qui ont contribué à la recherche de preuves sur la provenance de la souche du choléra qui a contaminé le pays et occasionné tant de morts, les Nations-Unies ont été obligées de changer de stratégies. « La position adoptée par l’ONU est moralement déraisonnable, légalement indéfendable et politiquement contre-productive», écrivait Philip Alston, rapporteur spécial pour l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains en Haïti. Dans un message au peuple haïtien à la fin de son mandat, le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki Moon, avait reconnu la culpabilité morale de l’ONU et avait annoncé une « nouvelle approche ». Les mesures prises jusqu’ici sont insuffisantes et ne sont certainement pas à la dimension des énormes dommages subis par notre pays, les parents des victimes et leurs communautés », lit-on, dans le document cadre de présentation du tribunal.
Dans le verdict publié à l’issue du tribunal, les organisations qui ont pris cette initiative réclament condamne l’ONU à des dommages compensatoires pour les préjudices continuels qui découlent de son inaction dans ce dossier, à un dédommagement de 50 mille dollars pour chaque personne infectée par le choléra en Haïti, 100,000 dollars pour les représentants de chaque victime décédée du choléra et la mise en œuvre de projets communautaires pour les victimes indirectes du choléra. Le verdict ordonne également à l’Etat haïtien de mettre sur pied la commission de réclamation et de prendre des dispositions pour que chaque victime puisse être répertoriée. Quant à la firme SANCO, entreprise chargée de curer les fosses septiques de la base militaire des Nations-Unies à Mirebalais et qui avait déversé les déchets et excréments dans la rivière Meille, confluente au fleuve Artibonite, elle a été condamné à des dommages et intérêts de 100 millions de gourdes aux bénéfices des personnes décédées du choléra en Haïti à partir du mois d’octobre 2010.
Ce tribunal populaire tenu sur le choléra doit ouvrir la voie à d’autres tribunaux de ce genre pour juger d’autres crimes commis par les Nations-Unies en Haïti, notamment de les viols et l’exploitation sexuelle, ont indiqué les initiateurs. Ces derniers encouragent des organisations d’autres pays, conformément à l’une des résolutions adoptées lors du colloque international en décembre 2019, à organiser des tribunaux populaires pour juger les crimes de l’ONU en Haïti.