Sous l’ombre bienveillante des arbres, une conversation s’engage autour d’un jardin, contrastant avec la réalité sombre de Port-au-Prince. Tandis que la capitale est secouée par la violence des gangs, d’autres régions du pays continuent de vivre, résilientes et pleines d’espoir. Margo Meeuwissen, engagée dans le développement rural, témoigne des défis et des adaptations des communautés face aux bouleversements. Mais comment Haïti peut-elle avancer lorsque les forces en place perpétuent l’instabilité ?
Je rends visite à une amie. Nous nous installons à table dans son jardin. Les arbres et arbustes nous protègent du soleil. Nous discutons de la situation à Port-au-Prince, de la nouvelle offensive des gangs et du comportement des dirigeants haïtiens. Avant mon départ, mon amie me propose quelques produits de son jardin.
Je suis actuellement en Haïti pour soutenir le travail de la fondation Bon Bagay, qui oeuvre au reboisement des montagnes, à la sensibilisation de la population au changement climatique et l’amélioration de la vie des paysans en développant des filières agricoles, tant au niveau national qu’international. Bon Bagay mène ces actions avec ses partenaires dans la région des Palmes.
Arriver dans la région a été une véritable épreuve. L’aéroport de Port-au-Prince étant toujours fermé et l’accès terrestre bloqué par des gangs à Gressier, j’ai dû prendre un vol de Miami vers le Cap-Haïtien, puis un autre vol du Cap aux Cayes, avant de faire un trajet en voiture de trois heures pour rejoindre son lieu d’hébergement. Le prix des vols, contrôlé par un monopole, a été ajusté en fonction de la forte demande.
Une fois arrivée dans la région, j’ai constaté que tout semble comme avant : le calme règne, les écoles fonctionnent, la vie suit son cours. Les paysans attendent la pluie pour semer, mais elle tarde, comme les années précédentes, probablement en raison du changement climatique.
En discutant avec les habitants, je comprends que, bien que la péninsule sud soit relativement stable et que la vie y continue, la situation a profondément changé. Port-au-Prince, autrefois un marché essentiel pour les paysans du sud et du nord, est désormais presque inaccessible. Les gangs, soutenus par des acteurs influents, ont isolé la capitale du reste du pays. Ce marché, crucial en raison du grand nombre de consommateurs, n’est plus une option pour de nombreux agriculteurs, qui doivent s’adapter en trouvant d’autres débouchés, que ce soit au niveau local ou en envisageant l’exportation.
Parallèlement, les grands commerçants intensifient l’importation de produits étrangers vers Port-au-Prince, profitant ainsi de la situation pour s’enrichir davantage.
Les prix des produits locaux ont doublé, rendant l’autosuffisance alimentaire plus importante que jamais. Dans ce contexte, Bon Bagay et ses partenaires constatent un intérêt croissant pour la protection de l’environnement, le reboisement et l’adaptation au changement climatique. L’organisation forme des enseignants, des directeurs d’école et des leaders religieux à ces enjeux. Lors des formations, les participants se montrent particulièrement attentifs et engagés dans les discussions.
La région a accueilli de nombreux déplacés forcés en provenance de Port-au-Prince et de Gressier, ou la population a augmenté considérablement. Une partie de ces personnes est retournée chez elles, mais d’autres vivent toujours dans des camps. La protection civile de chaque commune coordonne leur accueil et leur prise en charge, avec le soutien des ONG internationales.
Lors des échanges avec la population, beaucoup s’étonnent de voir que le Core Group accepte la composition du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) à neuf membres, alors que plusieurs membres font l’objet d’accusations de corruption et/ou ont des liens avec des acteurs sanctionnés par la communauté internationale pour corruption, financement des gangs et contribution à l’instabilité du pays.
Comment Haïti peut-elle espérer changer et se développer si ces types de dirigeants sont validés par la communauté internationale ?
En quittant leur cour, je remercie mon amie de m’avoir accueillie, de prendre soin de moi. De retour chez moi, je repense encore à sa bonne humeur et à sa force de résistance.