Au cours de ce mois de juin 2020, la COVID-19 suit son cours en Haïti Au 16 juin 2020, on a dépassé les 4,500 cas d’infections et 80 décès liés à la maladie sont comptabilisés. Les chiffres d’Haïti ressemblent peu à ceux enregistrés dans d’autres pays en raison des hauts et des creux observés dans les statistiques. Ce qui fait démentir un peu la notion de pic annoncé par le gouvernement. Pour les observateurs, les chiffres reflètent plutôt une faiblesse au niveau du nombre de test réalisés. Parallèlement, de nombreuses personnes se plaignent de fièvre et dans certains cas elles en décèdent sans qu’on puisse savoir si elles sont mortes à cause du Coronavirus.
De plus en plus, la COVID-19 ne semble plus être au premier plan de l’actualité. C’est plutôt la politique et l’économie qui prend le dessus. Brusquement, le gouvernement sort un certain nombre de décrets, certains de plus en plus inquiétants que d’autres, car ils touchent profondément les droits de la personne. C’est le cas pour ce décret sur les documents d’identité dont l’objectif semble vouloir forcer tous les citoyens et citoyennes à faire l’acquisition de cette nouvelle carte d’identité, encore appelée carte Dermalog (nom de la compagnie allemande qui les délivre). Cette carte très décriée en raison des conditions dans lesquelles le marché a été attribué et l’implication de la femme du président dans le choix de la compagnie, est vue comme une stratégie du pouvoir pour contrôler déjà les élections futures en mettant le grappin sur la base de données. Face aux nombreuses protestations, le gouvernement a annoncé le retrait de ce décret pour erreurs matérielles qu’il veut corriger. Mais les intentions exprimées dans ce décret continuent de susciter de grandes inquiétudes.
Le point qui domine le fort de l’actualité, c’est l’annonce faite par des proches du pouvoir annonçant des tractations pour la fabrication d’une nouvelle constitution pour Haïti. Des pourparlers semblent être déjà en cours pour choisir les membres d’une assemblée constituante. Dans cette démarche, le président Jovenel Moise semble trouver l’appui du BINUH(Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti) qui a sorti brusquement une note de presse ventant les opportunités du contexte actuel en Haïti pour une réforme constitutionnelle. « La réforme constitutionnelle – une opportunité pour relancer le pays » », c’est le titre de la note de presse publiée par le BINUH ». [1] Dans cette note, le BINUH dit observer le débat en cours sur la date de fin de mandat du président et invite les acteurs à surmonter leurs différends et à trouver un terrain d’entente pour réformer la Constitution et réaliser des élections. A rappeler que la réforme constitutionnelle fait partie du mandat attribué à ce bureau par le Conseil de Sécurité. Un mandat contesté par de nombreuses organisations haïtiennes, qui, dans une note en janvier 2020 sur la présence du BINUH en Haiti avait écrit ceci: « Les organisations s’inquiètent quant au fait que la lettre[2] du Secrétaire Général Antionio Guterres en date du 13 mai 2019 prévoit un appui du BINUH à la réforme constitutionnelle du Gouvernement haïtien.[3] La Résolution 2476 (2019) créant le BINUH, le dote d’un groupe consultatif « chargé des questions politiques et de la bonne gouvernance, avec capacités consultatives en ce qui concerne la bonne gouvernance, la justice, les élections, la réforme constitutionnelle,… ».[4] Les OSC haïtiennes mettent en garde d’un possible appui des Nations-Unies à cette réforme constitutionnelle au moment où les institutions démocratiques du pays sont dysfonctionnelles et le président de la République très décrié ».
En suivant les déclarations en provenance du pouvoir et celles de la communauté internationale, tout semble indiquer des mises en place importantes pour fabriquer une nouvelle constitution pour Haïti, sans la participation de sa population. L’on parle déjà de referendum pour la faire approuver, alors que la Constitution l’interdit. Au rythme que cela va avec des décrets publiés toutes les semaines, on peut se lever un bon matin et se trouver en face d’une nouvelle constitution. Tout cela se passe, alors que le gouvernement maintient le couvre-feu et les interdictions de manifestations sous prétexte de protection contre la COVID-19.
Cependant, l’opposition n’est pas prête à accepter cet état de fait. Si elle a souvent parlé de la préparation d’une nouvelle constitution, elle n’est pas décidé à l’accepter dans n’importe quelle condition. Ici et là, on se prépare déjà pour redémarrer avec les manifestations pour de nombreuses revendications à caractère politique, économique et social. Dans ce contexte, l’avenir de la seconde moitié de 2020 s’annonce très chaud en Haïti.
Colette Lespinasse
Représentante de la COEH en Haïti
[1] https://lenouvelliste.com/article/217342/binuh-la-reforme-constitutionnelle-une-opportunite-pour-relancer-le-pays
[2] A noter que dans la lettre le Secrétaire General de l’ONU précise les objectifs proposés du BINUH.
[3]S/2019/387.p.3.
[4] S/RES/2476 (2019)