Au cours du mois de février 2019, Haïti a vécu deux semaines de blocage complet sous le label de « pays locked », ce qui signifie « Tout est bloqué ». Ce mouvement mené par l’opposition visait la démission de l’actuel président, M. Jovenel Moise, et la reddition des comptes sur l’utilisation des Fonds Petrocaribe (ce programme d’achat de carburant du Vénézuela). Il n’a pas été concluant. Dans la foulée, c’est le Premier Ministre fraichement nommé, M. Henry Céant, qui a dû laisser son poste. Près de deux mois après, il n’est toujours pas remplacé officiellement. En attendant, le pays se trouve comme en mode « Pause » pour beaucoup de choses, y compris pour des appuis financiers promis par la communauté internationale, telle que l’Union Européenne (UE) et par le FMI.
Si après « l’opération locked », les activités semblent avoir repris, dans la réalité, beaucoup d’institutions ne fonctionnent plus. Elles sont comme disloquées et en hibernation. Des grèves en cascades se poursuivent dans l’administration publique pour réclamer de meilleures conditions de travail ou le paiement d’arriérés de salaire. Parallèlement, la situation économique ne cesse de se dégrader et le taux de change de la gourde par rapport au dollar américain a atteint, fin avril 2019, la barre de 90 gourdes pour un dollar américain pour certaines transactions. Ce qui n’est pas sans conséquence sur les conditions de vie de la population. L’Etat avec tout son appareillage ne fait pratiquement rien, ni pour arrêter cette dégringolade, ni pour faire fonctionner les services de base essentiels. De temps en temps, l’on enregistre des raretés dans l’approvisionnement en carburant sans aucune explication. L’appareil de l’Etat semble être partout paralysé et personne ne semble être responsable de rien.
A tout cela sont venus s’ajouter les mouvements des groupes armés dans les principales villes du pays et dans l’Artibonite, le grenier du pays. Au cours du mois d’Avril, deux nouveaux massacres sur la population ont été perpétrés par des groupes armés : le premier à Tokyo, zone de marché public limitrophe avec La Saline ; le second à Carrefour Feuilles (Sud-Est de Port-au-Prince). Si le nombre de victimes à Tokyo n’est toujours pas connu, les impacts sont visibles à l’observateur qui circule au boulevard La Saline et qui présente (fin avril) un triste spectacle de cases brûlées, de zone désertée, comme si l’on se trouvait en présence d’une communauté fraichement ravagée par la guerre. A Carrefour Feuilles, six (6) personnes ont perdu la vie dans la soirée du 24 avril, selon les organisations de droits humains et une dizaine gravement blessées dans une fusillade tout azimut déclenché par des groupes armés qui ont attaqué de paisibles citoyens qui vaquaient à leurs occupations.
Ce dernier acte a révolté la conscience des citoyens et citoyennes qui ont exprimé leurs ras-le-bol face à un Etat démissionnaire qui abandonne sa population à des civils armés en ne lui fournissant aucune sécurité et aucun service de base. Face aux nombreuses critiques, la Police a essayé de bouger un peu et a annoncé la capture suivi de décès du chef de gang qui avait perpétré le massacre de Carrefour-Feuilles. Plusieurs autres membres de groupes armés seraient aussi arrêtés. Mais ces annonces spectaculaires ne calment pas les inquiétudes de la population qui questionne de plus en plus l’existence de l’Etat haïtien ou de sa mission réelle. En Haïti, on se demande pourquoi avoir des autorités qui jouissent de tous les privilèges avec les taxes collectés sans assumer aucune responsabilité ? La question d’un besoin de refondation de l’Etat revient sur toutes les lèvres. Dans la foulée, les langues se délient et l’on découvre les connivences mafieuses entre des gens hautement placés dans le pouvoir politique et économique avec ces groupes armés qui terrorisent la population. Quelques informations commencent à filtrer sur un grand commerce d’armes et de munitions en Haïti pour alimenter l’insécurité. Cependant, aucune action en justice n’est encore menée contre les potentats.
Dans ce contexte de démission totale de l’Etat, les observateurs et observatrices se demandent qui est au gouvernail réellement en Haïti ?
Colette Lespinasse