Après de nombreuses tergiversations et des manœuvres dilatoires, la nomination des membres du Conseil présidentiel de transition (CPT) devant remplacer M. Ariel Henry, premier ministre démissionnaire au pouvoir en Haïti, est enfin une réalité. L’arrêté officialisant cette décision a été rendu publique le mardi 16 avril 2024. Les membres du CPT ont été désignés par plusieurs regroupements de partis et des organisations de la société civile, dans le cadre d’une médiation menées par la CARICOM. Colette Lespinasse, correspondante de la COEH en Haïti, partage son analyse de la situation.
Une grande confusion a régné autour de la sortie de ce document. L’authenticité d’un premier qui était en circulation le weekend dernier avait été niée par le Ministère de la Communication qui avait plutôt publié un communiqué exigeant un ensemble de documents (certains sont impossibles à trouver) de la part des personnes choisies avant de voir leurs noms publiés dans le journal officiel le Moniteur. Apparemment à la suite de pressions diverses, le gouvernement a laissé tomber ces exigences qualifiées par plus d’un de manœuvres dilatoires et a publié un nouvel arrêté où il annonce que les documents exigés sont toujours attendus « dans le meilleur délai », sans fournir aucune précision. De son côté, le directeur du Journal le Moniteur, assume toute la responsabilité dans cette affaire et a avoué qu’il y a eu effectivement une fuite au sein de son institution et s’est excusé auprès du gouvernement et du public pour les torts causés. Mais pour les observateurs, ce cafouillage étalé au grand public reflète des conflits internes au sein du gouvernement sortant dont certains ne veulent pas lâcher le morceau.
La publication officielle des noms des membres du CPT est un pas dans la bonne direction et suscite beaucoup d’espoirs. Plusieurs organisations y voient une opportunité pour le pays de commencer à sortir de ce bourbier politique, de cette crise institutionnelle et sécuritaire qui n’en finit pas. Dans les commentaires dans les médias, les gens souhaitent que la coalition ayant donné naissance à cette formule de gouvernement se montrera à la hauteur de la gravité de la situation. Ils espèrent qu’au lieu de perdre du temps dans des débats interminables, les membres du CPT chercheront à chaque fois le consensus nécessaire pour avancer rapidement dans des solutions, car le peuple n’en peut plus.
Les défis qui attendent ce CPT sont énormes, mais pas insurmontables. Cette structure est composée d’un ensemble d’acteurs avec des positions divergentes et dont certains avec un lourd passif dans la gestion du pays. De plus, il y a des groupes qui sont hostiles à cette formule et qui se préparent à la combattre. Il faudra donc à ce conseil beaucoup de tacts et d’esprit d’ouverture pour ne pas tomber dans le piège de la division qui peut la faire imploser avec des conséquences graves pour tout le pays.
Un élément de friction qui peut ouvrir la brèche à la division est la position autour de l’arrivée ou non d’une force multinationale, avec à sa tête le Kenya, comme décidé par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Dans l’accord signé entre les parties prenantes à la formation du CPT, des nuances ont été exprimées en ce qui concerne le recours à cette force. Malheureusement, le gouvernement sortant a refusé de le publier et a introduit dans le décret-cadre créant le CPT des clauses concernant l’arrivée de cette force qui ne font pas l’unanimité au sein du CPT.
Une lettre envoyée directement au président du Kenya par plusieurs associations patronales mercredi 17 avril a surpris les observateurs. Ces groupes puissants du secteur privé des affaires qui ont pourtant leurs représentants au conseil se sont adressés directement au président du Kenya lui demandant de débarquer rapidement en Haïti, car les choses sont en train de dégénérer. Cette lettre est fortement critiquée en Haïti et semble indiquer que les divergences porteront notamment sur les stratégies pour sortir de l’insécurité.
En tout cas, des préparatifs sont annoncés pour l’installation du CPT, probablement au palais national dans le meilleur délai et initier rapidement le processus de la passation du pouvoir. Cependant, des inquiétudes persistent en ce qui concerne la sécurité. Les gangs déclarent ouvertement s’opposer à la création du CPT et annoncent les couleurs dans les prochains jours. La coalition n’a pas encore annoncé comment elle compte s’y prendre pour aborder cet épineux problème des gangs. Mais tout le monde est d’accord qu’il faut mettre en place une dynamique de construction de la paix en passant probablement par une démarche qui permette à des jeunes de rendre les armes et se réinsérer dans la vie sociale tout en conservant le principe de justice pour les nombreuses victimes de violence.
Entretemps, le jeu macabre des gangs qui assassinent, pillent violent en toute impunité continue. Pour la période allant de janvier à mars 2024, au moins deux-cent-huit (208) personnes ont été assassinées, selon un rapport du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH). En un seul mois, plus de 100,000 personnes ont dû fuir leurs résidences et ne savent où se réfugier. En raison des nombreuses destructions enregistrées, il est difficile de trouver certains médicaments et la nourriture se raréfie. Espérons que l’arrivée au pouvoir de ce Conseil présidentiel de transition apporte la paix et la sécurité dans le pays, que la communauté internationale rompra avec son mimétisme traditionnel consistant à répéter sans cesse les mêmes erreurs et laisse les Haïtiens et Haïtiennes assumer effectivement la direction du pays.
Port-au-Prince, 18 avril 2024