Depuis juillet 2022, la population haïtienne ne peut plus trouver de carburants dans les pompes à essence, mais plutôt à prix fort dans les rues. Ce problème, ajouté à tant d’autres dont les difficultés de circulation au Sud de la capitale depuis plus d’une année, l’insécurité grandissante, l’arrogance des groupes armés qui tuent en toute impunité, les kidnappings, etc. affecte toutes les couches sociales et toutes les régions du pays. C’est dans ce contexte déjà difficile que le gouvernement a annoncé, le 14 septembre dernier, une nouvelle hausse des prix des produits pétroliers, certains à plus de 100%, avec l’argument que l’Etat ne peut plus continuer à les « subventionner». Cette décision a exacerbé la population déjà à bout de souffle qui ne bénéficie pratiquement d’aucun service de l’Etat et l’a fait sortir dans la rue. Partout dans le pays, à la capitale, comme dans les villes de province, les gens ont manifesté pour exiger le retrait de cette mesure et rejeter ce mode de gouvernance qui ne fait montre d’aucune sensibilité sociale. Il y a eu des casses, des pillages des incendies dans le commerce et dans des bureaux publics et privés. Quelques interventions de la Police se sont soldées par des morts et des blessés.
Les haïtiens et haïtiennes et tous ceux et celles qui suivent de près la réalité d’Haïti ont été surpris d’entendre le 18 septembre 2022, sur les antennes de France 24, une déclaration du Secrétaire Général des Nations Unies, M. Gustavo Guterrez, qualifiant de gangs armés tous ceux et celles qui manifestent en Haïti contre la décision de M. Ariel Henry d’augmenter significativement les prix des produits pétroliers et prenant carrément position contre toute poursuite de « subvention » de ce produit transversal. Dans une adresse à la Nation faite le même jour, le Premier Ministre haïtien est allé dans le même sens.
De son côté, M. Juan Gonzalez, Directeur principal du Conseil national de sécurité pour l’hémisphère occidental et assistant spécial du président Joe Biden, s’exprimant le lundi 19 septembre 2022 à l’Institut américain de la Paix basé à Washington, D.C, a déclaré que les mouvements de protestation qui se multiplient à Port-au-Prince, et dans d’autres villes de provinces en Haïti, seraient soutenus par des acteurs économiques puissants (sans les nommer) qui risquent de perdre beaucoup d’argent si le système haïtien est réformé.
Les déclarations de ces hauts personnages ont irrité davantage la population haïtienne et partout, les gens ont décidé de renforcer la mobilisation pour faire comprendre à la communauté internationale que le peuple haïtien existe, qu’il a marre de cette situation avilissante dans laquelle il patauge et qu’il est décidé à montrer au monde entier son ras-le-bol. S’il est vrai qu’il existe des groupes armés qui exercent la terreur contre la population depuis plusieurs mois en toute impunité, il y a un peuple qui souffre, qui crie au secours et qui ne trouve aucune réponse. C’est ce peuple qui est aujourd’hui dans la rue pour dire NON, contre l’insécurité, contre la misère, contre l’augmentation à plus de 100% des prix des produits pétroliers, sans aucune considération pour sa souffrance, sou prétexte que les caisses de l’Etat sont vides.
Des leaders politiques et de la société civile ont désapprouvé ces déclarations, les qualifiant de manque de respect envers la population et une absence de considération de la misère qui l’enserre. Partout, l’on se demande, comment une organisation comme les Nations-Unies, avec tous les moyens et unités dont elle dispose se soit montrée si peu informée sur la réalité haïtienne ? Certains pensent qu’il s’agit de mauvaise foi pour se dédouaner de leur responsabilité face au pourrissement de la situation en Haïti et pour mieux asseoir des décisions impopulaires à venir, dont celles d’une
intervention militaire, comme le préconisent certains pays, dont la République Dominicaine, le voisin le plus proche. De toute façon, ces genres de déclarations qui peuvent encourager des violations graves de droits humains sur une population qui proteste, contribuent à augmenter la méfiance envers l’ONU et son actuelle mission en Haïti, le BINUH. Elles mettent en danger les organisations internationales sur le terrain, incluant les ONG et jettent le doute sur le rôle de l’ONU dans le monde.
Dans une lettre publique adressée au Secrétaire général des Nations Unies, plusieurs organisations haïtiennes ont condamné les déclarations de M. Guterrez. « Le peuple haïtien en lutte a été grandement surpris et stupéfié, en apprenant que vous avez diffusé, sur la chaine France 24, en ce qui concerne son juste et légitime mouvement actuel de protestation, un ensemble de fausses informations qui sont sujettes à jeter de la confusion, à criminaliser, discréditer sa lutte en faveur d’une Haïti souveraine, juste, vivable. Contrairement à vos assertions, ces protestations populaires s’inscrivent dans une lutte pour une Haïti libérée de la suffocante ingérence étrangère, de la gangstérisation, de cette extrême misère fabriquée et d’un régime politique antinational, illégitime, criminel établi par le Core Group dont fait partie l’ONU. Ce régime politique fantoche, opérant sous la dictée du Fonds monétaire international (Fmi), vient de poignarder le peuple par la décision d’augmenter de plus de cent pour cent (128%) le prix des produits pétroliers, qui ont subi déjà, en moins d’un an, une augmentation vertigineuse ayant entrainé le doublement et le triplement dans certains cas, des prix des produits de première nécessité et autres ». (Extrait de cette lettre signée par plusieurs organisations haïtiennes).
Le débat n’était même pas terminé que le ministre des Affaires Etrangères d’Haïti, M. Jean Victor Généus a enfoncé le couteau dans la plaie en faisant une autre déclaration tout aussi choquante par-devant le Conseil de Sécurité des Nations-Unies et qui contraste drastiquement avec la réalité sur le terrain. «A l’heure où je vous parle, je suis en mesure d’annoncer qu’à l’exception de quelques cas isolés, la situation est globalement sous contrôle et le calme est revenu dans plusieurs parties du pays », a-t-il dit en lisant un texte du premier Ministre Ariel Henry. En écoutant ce discours, les gens se sont demandés de quel pays parle le chancelier haïtien quand on considère ce qui se passe actuellement en Haïti où les routes sont coupées, des manifestations sont organisées quotidiennement dans tout le pays, les bureaux des institutions publiques et privées sont complètement aux arrêts, le kidnapping bat son plein…….
Cette nouvelle déclaration fortement en décalage avec la réalité sur le terrain a renversé plus d’uns et provoqué de nombreux commentaires dans les médias. Des gens se sont demandés pourquoi tout ce beau monde, incluant les dirigeants haïtiens, se moquent-ils du peuple haïtien? Cinq associations patronales ont qualifié ce discours d’impair diplomatique et demandé au premier Ministre Ariel Henry de rétracter car ce qu’il a dit au Conseil de Sécurité dans ce discours lu par son Ministre des Affaires Etrangères ne correspond nullement aux calamités vécues par le peuple haïtien. « Les associations patronales, signataires de la présente, ont été sidérées en prenant connaissance du message officiel porté par le ministre des Affaires Étrangères Haïtien, M. Généus, devant le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies, ce lundi 26 septembre 2022……. » ont écrit les associations patronales.
Dans ce qui s’est passé, il est évident qu’au plus haut niveau, des gens se font complices d’un vaste mensonge sur Haïti, en cachant ce qui s’y passe réellement, tout en amplifiant à dessein certains aspects qui vont dans le sens de leurs projets. Par exemple, l’apparition tout azimut d’un chef de gang bien connu, M. Jimmy Cerisier (alias Barbecue) dans une des manifestations, a été largement diffusée dans les médias internationaux et a servi rapidement d’arguments pour disqualifier le mouvement de protestations en cours. Heureusement qu’il y a d’autres sources et circuits qui peuvent aider à diffuser des informations alternatives. Mais ce type de comportements soulève des questionnements sur l’ONU, sur son rôle en Haïti et sur la sincérité de tous les beaux discours de cette organisation internationale qui ne cesse de faire la promotion d’une vie politique, économique et sociale empreinte entre autres de Justice, de Solidarité et d’Honnêteté.