En Haïti le 7 février est un jour historique : c’était un 7 février que Jean-Claude Duvalier avait quitté le pays précipitamment, mettant fin à une période de dictature de presque trente ans. Le 7 février 2016 marquait le 30-ième anniversaire de cette date historique. Raison de faire la fête, on pourrait penser, aussi parce que traditionnellement, quand il y a des élections le 7 février est la date d’installation du nouveau président. A la fin de l’année dernière il y eu des élections présidentielles, mais on n’a pas encore installé le nouveau président. En fait, on a encore aucune idée qui sera le successeur du président Michel Martelly.
Haïti a un système électoral compliqué, et parce que durant sa période de gouvernement le président Martelly a remis les élections locales et parlementaires prévues jusqu’au dernier moment de son administration, il avait été planifié pas moins de trois « moments d’élections » pendant les quatre derniers mois de 2015, où la population pourrait voter en plusieurs tours pour des gouvernements locaux et nationaux. Le premier tour pour le parlement en août était marqué par de graves incidents de violence. Quand à la fin d’octobre le deuxième tour pour le parlement et les gouvernements locaux en combinaison avec le premier tour pour le président a eu lieu, le Conseil Électoral Provisoire (CEP) et l’état s’étaient mieux préparés. Aux bureaux de vote la police était beaucoup plus présente, et les observateurs nationaux aussi bien qu’internationaux constatèrent que les élections s’étaient déroulées tranquillement.
Mais ces premières réactions prudentes positives sont suivies par des rapports, notamment des organisations de la société civile haïtienne, qui critiquent sérieusement le déroulement des élections. Seulement 30% de la population a voté, mais il y a de sérieuses indications que pas mal de personnes ont voté plusieurs fois. Cela concerne principalement les mandataires, des personnes qui représentent des partis politiques surveillent le processus d’élection et ont accès aux bureaux de vote. Officiellement, chaque parti peut déléguer un mandataire par bureau de vote, un nombre qui, avec 54 candidats, peut pas mal augmenter[i]. Ajoutant aux mandataires les observateurs, les membres des bureaux de vote et naturellement les électeurs, et c’est clair que cela peut créer des situations chaotiques, où abus et fraude se cachent.
C’est pourquoi peu après les élections, des organisations de la société civile haïtienne et aussi quelques organisations internationales, ont exigé une évaluation indépendante du processus électoral, avant qu’on ne réalise le deuxième et décisif tour le 27 décembre. Pour gagner, un candidat doit avoir au moins 50% des votes, et avec plus de 50 candidats il est presque impossible que quelqu’un atteigne cela déjà au premier tour. Quand le CEP annonce le 5 novembre que Jovenel Moïse du parti du président Martelly et Jude Célestin du parti de l’ancien président Préval ont terminés en première et deuxième place respectivement, et continuent au deuxième tour, les manifestations augmentent. Jude Célestin s’est rallié aux protestations populaires proclamant qu’il ne participera pas au deuxième tour sans qu’une investigation sérieuse du processus électoral soit réalisée. Le délai des élections jusqu’au 24 janvier n’a pas résous le conflit, et le CEP n’avait pas d’autre choix que de renvoyer les élections encore une fois à une date ultérieure.
Gouvernement provisoire
Quelque mois plus tard, une solution semble plus éloignée que jamais. En accord avec la Constitution Martelly a démissionné le 7 février, et une semaine plus tard Jocelerme Privert, le nouveau président du sénat, a été élu par les deux chambres du parlement en tant que président provisoire. Privert était Ministre de l’Économie et des Finances sous le gouvernement d’Aristide (2001-2002) et conseiller de Préval. Son mandat est clair et pour une période de 120 jours : organiser des élections, afin que dans quatre mois un nouveau président soit installé. Mais dès la signature de l’accord, très peu de personnes croyaient qu’il était possible d’organiser des élections le 24 avril, comme le prévoit l’accord. Des organisations de défense des droits humains et d’autres organisations de la société civile maintiennent leur demande de mener premièrement une investigation sur le processus électoral. Il faut apprendre des fautes faites en août et octobre, et aussi montrer au peuple haïtien que fraude et corruption sont inacceptables et punissables, de façon que les haïtiens puissent renouveler leur confiance dans les politiciens et partis politiques. Comme Pierre Espérance, directeur de l’organisation de défense des droits humains RNDDH a dit à Washington D.C. au début de mars : « Je ne pense pas que les résultats d’une commission indépendante d’évaluation changent les résultats des premiers trois ou quatre candidats, mais une telle évaluation nous aidera pour en terminer avec l’impunité et la corruption dans notre pays. Si on trouve la vérité et si on cherche la vérité nous pourrons organiser des élections acceptables. »
Une des tâches de Privert était la formation d’un conseil électoral provisoire nouveau et indépendant, auquel il a sollicité aussi la participation des représentants de la société civile. Après des bloquages initiales à la fin de mars le parlement a accepté la nomination d’Enex Jean-Charles comme premier ministre. Le nouveau CEP vient aussi d’être installé deux mois après l’élection de Privert comme président provisoire. Les termes de référence pour une commission de vérification et d’évaluation faites, la commission devrait bientôt voir le jour.
Problèmes croissants
Entre-temps les problèmes en Haïti augmentent. Une crise alimentaire est imminente à cause d’une sécheresse prolongée qui a détruit plusieurs récoltes. Si l’on n’agit pas rapidement, plus de trois millions d’haïtiens manqueront de nourriture. La République Dominicaine continue la déportation des haïtiens et des dominicains descendants des haïtiens. Jamais le taux d’échange de la gourde avec le dollar a été aussi bas qu’aujourd’hui : il y a un an on payait 47 Gourdes pour un dollar, et maintenant 62 Gourdes, une différence de 30% . Et les troubles augmentent : en février l’ancien leader paramilitaire et actuel candidat-membre du Sénat, Guy Philippe a menacé avec une « guerre civile » si les élections n’ont pas lieu le 24 avril. Possiblement il bluffe et essaye avec de grands mots d’ augmenter la pression sur Privert, mais tout le monde se rappelle que Guy Philippe était un des leaders révoltés qui en 2004 ont aidé au renversement du président Aristide. Le parti de Philippe maintient des relations amicales avec le PHTK de Martelly et Moïse, ce qui veut dire que la victoire électorale de ce parti est de son intérêt.
La communauté internationale, avec les Nations Unies et quelques ambassades à la tête, commencent à s’inquiéter et exercent une pression sur le gouvernement de Privert afin de réaliser les élections dans les délais prévus dans l’accord. Mais un pays ne se transforme en une démocratie complète et rassurante simplement par des élections mal organisées. Une vérification ne va certes pas garantir des élections excellentes, mais en identifiant les irrégularités et les failles elle peut montrer la route pour des élections acceptables. Et ce dernier est seulement possible si le processus électorale est vérifié et évalué sérieusement avant d’organiser de nouvelles élections. La création de la nouvelle commission d’évaluation – malgré les pressions diplomatiques qui la décrivaient comme un «perte de temps» – constitue en quelque sorte une victoire pour la souveraineté : une reprise en main du processus électoral par les acteurs haïtiens.
Cet article était repris du bulletin La Chispa, ou c’était publiée en néerlandais le 24 mars 2016, et complétée avec les derniers développements politiques pour le site de la COEH
Sources:
www.alterpresse.org www.haitielection2015.blogspot.com
[i] Avec 13.725 Bureaux de Votes, cela donne – uniquement pour les élections présidentielles – 741.150 mandataires.