Ce document est le fruit d’un long processus de formation, réflexion et dialogue entre des organisations de toutes les régions du pays, sous le leadership d’une quinzaine d’institutions et de mouvements paysans. Il a été présenté à des délégations venues des 10 départements du pays et à des organisations solidaires à l’occasion d’un forum de deux jours tenu à Port-au-Prince les 16 et 17 avril 2018. Plus de 300 personnes ont pris part à cet événement ainsi que deux institutions de l’Etat : l’INHARA (Institut National Haïtien de la Réforme Agraire) et la CNSA (Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire).
La préparation de ce document de plaidoyer a été initiée en 2012 par des organisations paysannes avec l’appui d’institutions d’encadrement afin de définir de manière participative des stratégies pouvant porter l’Etat haïtien à prendre en compte les besoins et revendications du monde rural. Pour cela, une méthodologie formation-réflexion- inter-échanges avait été adoptée pour aider les différents groupes à bien analyser les problèmes qui les affectent et à participer eux-mêmes à la recherche de possibles solutions. Au fur et à mesure, des organisations des couches populaires urbaines ainsi que des associations professionnelles, comme par exemple celles du monde éducatif, ont rejoint la dynamique. De ce fait, les revendications et propositions formulées dans le document ne concernent pas uniquement le monde paysan, mais aussi les couches populaires des villes.
Ce processus qui a duré six ans a bénéficié de l’appui de techniciens de l’ONG GRAMIR(Groupe de Recherche et d’Appui en Milieu Rural), de la PAPDA(Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif) et du soutien d’organisations solidaires de plusieurs pays, dont certains membres de la COEH, comme par exemple « Entraide et Fraternité » de la Belgique. Dans la démarche, le pays a été divisé en trois grandes régions : le Grand nord , le Grand Sud et le Centre incluant l’Ouest. Pour chaque région, le processus a duré environ deux ans avec la préparation de cahiers de charges par département et par région. La première phase a pris fin avec ce forum de validation des revendications nationales.
« Le document présenté au forum est un cahier national de synthèses, de propositions et de stratégies en vue de permettre aux principaux acteurs de se mettre d’accord sur comment l’utiliser pour porter les autorités à mettre en place de véritables politiques publiques », a déclaré Ricot Jean-Pierre, responsable de Programme à la PAPDA, dans une entrevue accordée à la correspondante de la COEH en Haïti.
L’idée d’une telle démarche, confie M. Jean-Pierre, est venue du constat que souvent les groupes en Haïti formulent des revendications sous forme de simples vœux, sans une réflexion sur les causes de leurs problèmes, sans définition de propositions pouvant aider à les résoudre de manière durable et surtout sans stratégie de mobilisation. « Nous avions voulu inventer des alternatives pour un changement durable. Et pour cela, il fallait que les acteurs soient capables d’innover, d’aller au-delà de ce qu’ils voient. Il fallait qu’ils aient une vue plus large du processus de changement. Nous pensons avoir fait ce premier pas avec la réalisation de ce document. Mais beaucoup de pas restent encore à faire », a dit en substance Jean-Pierre.
En effet, la validation du cahier de charge est, selon les initiateurs de ce processus, l’aboutissement d’une première étape. Mais beaucoup d’autres pas restent encore à franchir. La préparation de ce document a porté de nombreuses organisations qui n’avaient pas l’habitude de se rencontrer, de travailler ensemble à dialoguer sur des problèmes communs. Comme conséquence pour avancer, les organisations devront travailler différemment, en mettant de côté par exemple certains intérêts particuliers, les luttes d’hégémonie, la recherche de visibilité personnelle pour s’attirer des financements individuels et éviter toute forme de récupération, pense Jean-Pierre.
« Le cahier de charge porte en lui un projet de changement durable pour Haïti, mais il n’est la propriété d’aucun parti politique, même si individuellement des individus ayant pris part au processus peuvent appartenir à des partis politiques. Ce document appartient au mouvement social de tous les départements et les organisations peuvent l’utiliser pour discuter avec n’importe quel parti politique, questionner leurs programmes et déterminer si leurs propositions et actions vont dans l’intérêt du changement que les organisations souhaitent ».
Les analyses ont été faites en tenant compte de la classification traditionnelle par secteur économique, Politique, social et culturel. Les dimensions nationales et internationales sont à chaque fois prises en compte, étant donné le poids des politiques internationales sur la vie des populations en Haïti. « Nous voulons construire un rapport de force en faveur de la paysannerie, des gens appauvris, marginalisés » et pour cela, nous avons besoin de la solidarité tant au niveau national qu’international », pense Jean-Pierre
En ce qui concerne le monde rural, sur le plan économique, le document analyse les problèmes auxquels est confrontée l’agriculture familiale paysanne qui est le système agricole du pays, les conséquences des politiques commerciales sur ce système. Il plaide en faveur de l’agro-écologie, l’économie sociale et solidaire devant permettre aux paysans d’accéder aux moyens de production. Sur le plan politique, les problèmes de représentation du monde rural dans le système politique, l’organisation d’élections participatives, la décentralisation en vue de la proximité des services sociaux de base sont proposés. Sur le plan culturel, le document prône la valorisation du patrimoine historique et culturel d’Haïti pour redonner confiance aux citoyens et citoyennes dans leur pays et refaire l’image d’Haïti. Le document dans son ensemble est basé sur la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels de la population haïtienne. En ce sens, il traite de nombreux problèmes sociaux, tels que la migration, le chômage des jeunes tout en présentant des propositions pouvant aider à les résoudre.
A l’issue du forum de validation, un comité de suivi et de mobilisation intégrant des représentants de tous les départements et des principaux mouvements paysans du pays a été mis en place.
Colette Lespinasse
Correspondance en Haïti de la COEH