Les émeutes et les manifestations massives qui perturbent la vie publique en Haïti depuis l’été 2018 – et qui se sont multipliées et intensifiées ces dernières semaines – sont l’expression de ce que les Haïtiens appellent le bat tenèb : lutter contre l’absence de perspectives . Les Haïtiens montrent leur colère face au manque de progrès et de changements réels, près de dix ans après le tremblement de terre.
Le 12 janvier 2010, Haïti a été sévèrement touché par un tremblement de terre majeur. La catastrophe naturelle a eu des effets dévastateurs. Deux à trois cent mille personnes ont été tuées. Un million et demi de personnes ont perdu leur maison. Les dégâts matériels étaient inimaginables. La compassion et la solidarité internationales à l’égard d’Haïti étaient grandes, et l’ambition de changement énorme : « Nous reconstruirons une Haïti meilleure », disaient les gens.
Rébellion des opprimés
Mais l’aide d’urgence et le soutien à la reconstruction ont-ils permis d’améliorer les conditions de vie en Haïti ? Au vu de la situation actuelle, on ne peut que s’interroger. Hanté et nargué par l’augmentation du coût de la vie, le manque de carburant, la corruption, la violence des gangs et la mauvaise gestion politique et économique, des milliers de citoyens manifestants sont descendus dans la rue. L’appel à la démission du président Jovenel Moïse se fait de plus en plus pressant. C’est la « rébellion des opprimés contre leur déshumanisation », affirme la militante des droits humains Colette Lespinasse.
La cause immédiate de la crise actuelle est la combinaison d’une hausse absurde et éphémère des prix du carburant et de la révélation d’un scandale de corruption majeur. Mais les vraies causes de la tourmente remontent bien plus loin. D’une part, il s’agit de la présence d’un État prédateur qui se met contre la population par une gouvernance autoritaire et le recours à la violence et à la corruption. Un gouvernement qui échoue également dans ses actions envers ses citoyens. D’autre part, Haïti reste jusqu’à ce jour à la merci des superpuissances étrangères et des organisations internationales, qui servent avant tout leurs propres intérêts.
Le politologue haïtien américain Robert Fatton parle de « l’aide humanitaire irrespectueuse » et qualifie Haïti de « cimetière du système capitaliste mondial ».
Il semble que dix ans après le tremblement de terre, ce qu’on appelle „la reconstruction du pays“ ressemble surtout à une opération cosmétique au cours de laquelle ni les autorités haïtiennes ni la communauté internationale ne se sont attaquées aux causes profondes des problèmes réels du pays. C’est la raison pour laquelle les Haïtiens sont descendus en masse dans les rues pour battre „le tenèb“, pour lutter contre la corruption, l’impunité, et réclamer des conditions de vie meilleure. Peut-être que la rébellion actuelle des opprimés offrira une nouvelle chance pour un changement parce que ce ne sont pas les pauvres qui sont le problème d’Haïti.
Marcel Catsburg est professeur et auteur de Grond zonder Rust – breuklijnen in Haïtiaanse bodem (Terre sans repos – lignes de faille en terre haïtienne).