Le 7 mai 2017, le nouveau président haïtien vient de boucler ses 100 premiers jours. Au cours de cette période, il a lancé son programme phare « La caravane du changement » en commençant par la Plaine de l’Artibonite, haut lieu de production rizicole dans le pays. Il semble vouloir tenir sa promesse électorale de mettre ensemble la terre, l’eau, le soleil, les hommes et femmes d’Haïti pour faire prospérer le pays. Son objectif déclaré: relancer la production agricole en mettant en valeur rapidement 32,000 hectares de terre irrigables dans cette plaine où seulement 12,000 sont pour le moment exploités.
Le président a mis tout son poids dans la balance en réquisitionnant les équipements lourds(tracteurs, camions, dragueurs) du Ministère des Travaux Publics pour curer 197 kilomètres de canaux d’arrosage facilitant ainsi le transport de l’eau vers des terres asséchées depuis des années. Il partage son temps entre le Palais national et ce chantier où il se rend chaque semaine depuis le lancement de ces travaux le premier mai 2017. Tout cela à grand renfort de propagandes avec des spots dans les médias, mettant en exergue le président comme seul acteur. Cette opération a déjà coûté à l’Etat plus de 100 millions de gourdes ( autour de 1,400,000 euros), seulement pour la sécurité du président lors de ces déplacements).
Dans l’Artibonite, les gens accueillent favorablement cette initiative, surtout dans les zones qui avaient cessé depuis des années de bénéficier de ce système d’irrigation faute d’entretien. Mais ils se demandent combien de temps cela va durer, car aucun accompagnement institutionnel, ni technique n’est visible. Si tout le monde applaudit l’objectif déclaré du président qui dit vouloir réduire la dépendance du pays à l’importation de nourriture, beaucoup de gens demeurent cependant sceptiques, car l’initiative ne se fonde pas assez sur des données techniques, économiques et sociales et n’entre apparemment dans aucune stratégie de politique agricole. En effet, le président prétend faire passer l’importation de riz de 500,000 tonnes à 300,000 d’ici la fin de son mandat. Projet ambitieux, car pour y parvenir, il devra agir sur de nombreux paramètres dont les politiques douanières libérales qui ont permis, au cours des trente dernières années, de faire baisser les taxes sur l’importation de riz de 30% à moins de 3%. En effet, Haïti est l’un des pays de la région où les tarifs douaniers sont les plus bas, ce qui facilite l’entrée sur son territoire de produits agricoles provenant du monde entier, notamment de la République Dominicaine à un coût plus bas que ceux produits par les paysans haïtiens qui ne bénéficient pratiquement d’aucun support de l’Etat.
L’ambitieux projet du président n’a encore rien dit sur les problèmes fonciers qui représentent de puissants obstacles au développement agricole d’Haïti. Le président fait totalement fi des institutions publiques et privées s’occupant de l’agriculture dans l’Artibonite, des organisations paysannes, dont certaines gèrent le système d’irrigation qu’il est en train de rénover. Il est le seul maitre à bord et toutes les autres structures, semblent avoir disparu.
Agriculture ou riziculture ?
« Le premier mai, fête de l’agriculture et du travail, j’attendais du président l’annonce d’un programme pour la relance de la production agricole du pays qui ne concerne pas seulement le riz, mais bien d’autres cultures qui nous permettent de vivre. J’ai été vraiment décu. Ce qu’il fait là dans l’Artibonite ne concerne qu’une minorité vivant dans les plaines et non la grande masse de petits agriculteurs», a déclaré un paysan de l’organisation Tèt Kole Ti Peyizan Ayisyen. Même s’il a commencé par la Plaine de l’Artibonite, les paysans s’attendaient à une déclaration du président qui leur permettrait de saisir dans quelle direction il chemine. Si le riz est fortement consommé en Haïti, d’autres produits vivriers comme le mais, la banane, l’igname occupent une grande place dans la consommation quotidienne. Les autres cultures et régions ne figurent pas encore dans l’agenda du président. Aucune stratégie n’est annoncée pour les zones montagneuses dans un pays à 70% de pentes et fortement érodé.
Pour beaucoup de gens, le changement annoncé doit être intégral et ne peut seulement concerner l’agriculture. Il doit aussi signifier pour le monde rural l’accès aux services de base, comme l’éducation, les soins de santé, le logement décent, l’eau potable, conditions sine qua non pour permettre au paysans d’accumuler du capital à réinvestir dans le travail agricole. Alors que le président lance sa caravane dans l’Artibonite, beaucoup d’écoles dans cette région et dans le reste du pays sont en grève parce que des professeurs n’ont pas reçu leurs salaires depuis plusieurs mois.
Le prochain arrêt de la Caravane du changement, c’est dans le grand sud, complètement ravagé par le passage de l’Ouragan Matthew en Octobre 2016. Tout le monde espère qu’à cette occasion, le président donnera plus d’information sur sa stratégie qui devra forcément prendre en compte les zones montagneuses, considérant la topographie accidentée du grand sud. Ce sera un grand test pour le président Jovenel Moise sur ses intentions réelles en matière de développement agricole.