En réponse au débat sur Haïti au Parlement européen le 5 février 2024 la Coordination Europe-Haïti (CoEH) interpelle à nouveau l’Union européen en lui demandant d’être plus attentive aux propositions de la société civile haïtienne pour une solution durable à la crise de plus en plus extrême en Haïti. Haïti a besoin d’un nouveau leadership, d’un gouvernement de transition composé de personnalités crédibles et progressistes qui s’engagent à promouvoir la démocratie, les droits humains et le respect de l’État de droit. Haïti a besoin d’une aide internationale qui appuie des stratégies susceptibles de contribuer à une résolution définitive de la crise haïtienne.
Voici le texte de l’appel:
Bruxelles, le 6 mars 2024
Appel de la Coordination Europe Haïti à l’Union européenne
La Coordination Europe-Haïti (CoEH) a suivi avec beaucoup d’intérêt le débat sur Haïti au Parlement européen dans sa session plénière du 5 février 2024 à Strasbourg, intitulé « La situation en Haïti à la veille du déploiement de la Mission multinationale de soutien à la sécurité des Nations Unies« . Elle interpelle à nouveau l‘Union européenne en lui demandant d’être plus attentive aux propositions de la société civile haïtienne pour une solution durable à la crise de plus en plus extrême en Haïti.
La CoEH a pris note avec satisfaction que tous les orateurs et porte-paroles des groupes politiques ont reconnu la situation extrêmement difficile dans laquelle se trouve le peuple haïtien et qu’il est indispensable que l’Europe ne se détourne pas d’Haïti et de son peuple en détresse. Nous saluons la prise de parole de Mme la Commissaire Adina-Ioana Vălean, qui, dans sa déclaration au nom de la Commission européenne, a signalé la volonté de l’Union européenne de soutenir les efforts de lutte contre la prolifération des armes, la nécessité de mettre en place des mécanismes de responsabilité efficaces pour protéger les droits humains dans le cadre d’un déploiement probable de la Mission multinationale et d’éviter les erreurs commises avec la MINUSTAH, de son engagement continu en Haïti par le biais de fonds de coopération et de fonds humanitaires et de l’appel lancé aux principaux acteurs politiques haïtiens pour qu’ils entament un véritable dialogue et redoublent d’efforts pour trouver un compromis. Cependant, nous aurions espéré également l’annonce d’une réelle volonté de l’Union européenne d’appuyer un processus de recherche d’une solution haïtienne et durable à la crise.
Depuis notre dernière communication en date du 30 octobre 2023, la situation en Haïti n’a fait qu’empirer. « La situation déjà désastreuse des droits humains s’est encore détériorée, dans un contexte de violence incessante et croissante des gangs, avec des conséquences désastreuses pour les Haïtiens », a dénoncé Volker Türk, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme.[1] Dans ce contexte de violence aiguë, une mobilisation contre Ariel Henry, à l’appel de plusieurs organisations sociopolitiques, prend de l’ampleur. Le Premier ministre devait quitter ses fonctions le 7 février 2024, selon un accord politique signé en 2022, mais il s’accroche au pouvoir. La Conférence des évêques catholiques d’Haïti elle-même constate « l’inaction du gouvernement, son incapacité à protéger la population » et appelle les autorités à prendre leurs responsabilités.[2]
La solution à la crise que préconise la communauté internationale est le déploiement de la force multinationale de sécurité (MMAS) dirigée par le Kenya, autorisé par le Conseil de sécurité des Nations Unies dans une résolution adoptée le 2 octobre 2023. Après la décision de la Cour suprême kényane du 26 janvier 2024 qui a jugé « anticonstitutionnelle, illégale et invalide » l’envoi de policiers kényans en Haïti, le déploiement de la MMAS est encore incertain. Néanmoins, dans l’optique où cette nouvelle mission devient effective, elle risque fort, tout comme les interventions précédentes, d’échouer si l’on ne s’attaque pas au problème de fond, c’est-à-dire un État défaillant dont la gestion catastrophique est basée sur l’exclusion sociale. Les ressources du pays, les institutions et le système judiciaire défaillant n’existent qu’au profit d’un petit groupe. Les interventions de la communauté internationale, dont celle prévue aujourd’hui avec le Kenya, ne feront que renforcer ces inégalités et les causes de tant de crises, tant que ce problème systémique ne sera pas réglé. La MMAS, si elle est déployée dans les conditions actuelles, ne fera que renforcer la polarisation déjà existante avec le risque très important d’augmentation de la violence dans la capitale et de sa diffusion dans tout le pays.
Face au constat de l’aggravation de la situation en Haïti et tenant compte de la Résolution 2069 autorisant le déploiement d’une force multinationale adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 2 octobre 2023 et du débat sur Haïti au Parlement européen dans sa session plénière du 5 février 2024 à Strasbourg, la CoEH appelle l’Union européenne à appliquer ses valeurs et principes fondamentaux de justice, de démocratie et de droits humains dans sa politique envers Haïti. Plus spécifiquement, la COEH demande à l’UE et ses États membres de :
- Cesser tout appui à des gens au pouvoir en Haïti qui n’ont aucune légitimité, aucune crédibilité et dont l’action et surtout les inactions ne font que renforcer les gangs et la crise dans le pays. Elle demande également de soutenir de préférence un processus de transition vers l’établissement d’un Etat démocratique, soucieux des besoins de justice sociale et de liberté de la population. Nous insistons sur la nécessité d’un changement de leadership et plaidons de nouveau pour la formation d’un gouvernement de rupture, constitué de figures crédibles et progressistes engagées en faveur de la démocratie, des droits humains et de l’État de droit. Seul un tel gouvernement sera en mesure de créer un environnement propice au rétablissement de la sécurité nationale avec si nécessaire un appui extérieur, et faciliter la tenue d’élections libres et équitables.
- Soutenir une solution haïtienne qui protège les couches de la population haïtienne, non impliquées dans des violations de droits humains, les trafics de toutes sortes et la corruption, actives dans la recherche d’alternatives consensuelles pour résoudre durablement cette crise qui perdure depuis trop longtemps en Haïti. Les tergiversations autour de la MMAS témoignent de la complexité des enjeux en Haïti et soulignent l’importance de ne pas précipiter des initiatives ou de ressusciter d’anciennes approches qui se sont révélées inefficaces. Jusqu’à présent, les mêmes élites politiques qui ont mené le pays à la catastrophe ces dernières décennies sont celles qui sont consultées. Il est temps d’inclure de nouveaux acteurs crédibles dans les pourparlers, tels que les représentants des secteurs populaires, des provinces et de la diaspora, afin de raviver l’espoir d’un avenir meilleur pour Haïti.
- Mettre en place une véritable politique d’appui à la lutte contre le trafic d’armes et de munitions venant surtout des États-Unis, en imposant des sanctions contre les individus impliqués dans ces crimes. La CoEH prend acte de la contribution de l’UE au projet d’appui à la PNH en coopération avec le PNUD et l’ONUDC qui vise entre autres à renforcer les capacités de la PNH, dans son combat contre le trafic d’armes et de munitions. Toutefois, les liens connus entre les gangs et une partie de la police risquent de limiter l’efficacité du soutien. Une véritable supervision politique et l’éviction des éléments criminels sont nécessaires, soulignant le besoin d’un gouvernement de transition crédible. De plus, la CoEH réitère sa demande à l’UE de contribuer à l’identification de toute personne qui soutient les gangs, le trafic d’armes, de munitions et de stupéfiants, ainsi que la corruption en Haïti, d’imposer des sanctions efficaces en toute transparence envers le public et de transmettre les dossiers à la Justice haïtienne pour suivi.
Nous vous remercions, Mesdames, Messieurs, de l’attention que vous porterez à notre appel et restons à votre disposition pour toute information complémentaire et/ou pour un échange plus approfondi sur nos revendications.
Pour la COEH,
Christophe Mohni Ornella Braceschi
Coordinateur CoEH Présidente Collectif Haïti de France/Membre Comité de pilotage
[1] Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme : Haïti : Türk met en garde contre une aggravation de la crise des droits humains après le mois le plus violent en deux ans, 09 février 2024, https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2024/02/haiti-turk-warns-deepening-human-rights-crisis-following-most-violent-month
[2] Rfi: Journal d’Haïti et des Amériques, Insécurité en Haïti : les évêques constatent « l’inaction du gouvernement, 12/02/2024, https://rfi.my/AL4Q