La Coordination Europe-Haïti (CoEH) s’est réunie en assemblée générale mi-octobre 2023 pour échanger des derniers développements et de la situation de plus en plus catastrophique en Haïti. La CoEH est un réseau d’organisations et de plateformes de la société civile européenne fondé en 2004 et qui travaille en étroite collaboration avec des organisations et mouvements de la société civile en Haïti. La CoEH s’est donnée pour mission de faire entendre la voix des Haïtiennes et Haïtiens auprès de l’Union européenne (UE) et de ses États membres et c’est dans ce cadre qu’elle interpelle l‘UE en lui demandant d’être plus attentive à cette situation extrême. Notre appel est un recours urgent à l’action pour faciliter la recherche d’une véritable solution d’avenir pour Haïti, en accord avec la volonté de la grande majorité de la population haïtienne.
Depuis le début de l’année, la situation en Haïti n’a fait qu’empirer. Le pays s’enfonce de plus en plus dans
le chaos, sans perspective d’avenir pour la population. Ce chaos se caractérise par le déferlement sans
aucune contrainte de groupes armés qui contrôlent chaque jour des espaces plus importants de la capitale
et de certaines régions de province, notamment l’Artibonite, principal grenier du pays. Ces bandits, qui
agissent en toute impunité, chassent les habitants de leurs maisons, tuent, blessent, brûlent, pillent et violent.
Au cours du 1er semestre de 2023, au moins 2.000 homicides et 1.500 enlèvements ont été perpétrés par
les bandes armées et plus de 200.000 personnes ont été déplacées par la violence en Haïti. À tout cela vient
s’ajouter l’inflation, la pauvreté, une économie en déroute et la faim qui touche pratiquement un Haïtien
sur deux. Cette crise a été exacerbée par la fermeture unilatérale de la frontière et le déploiement militaire
massif de la République dominicaine en représailles au projet de canal sur le fleuve Massacre, destiné à
irriguer près de 3.000 hectares de terres haïtiennes.
C’est dans ce contexte insupportable que le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté le 2 octobre une
résolution autorisant le déploiement d’une force multinationale de sécurité dirigée par le Kenya pour lutter
contre la violence des gangs en Haïti, sans questionner le rôle que des détenteurs actuels du pouvoir en
Haïti jouent dans cette situation d’extrême violence. L’envoi de cette énième mission de troupes
internationales est présenté comme une lueur d’espoir pour un pays totalement abandonné par son
gouvernement. Mais de quel espoir parle-t-on si cette force, au lieu de s’attaquer à la racine du mal, ne fait
que renforcer le gouvernement qui a conduit le pays à l’état infernal dans lequel il se trouve aujourd’hui ?
Nous sommes convaincus que tout effort de solution aux problèmes actuels d’Haïti, doit passer, avant tout,
par la mise en place d’un gouvernement fonctionnel déterminé à gérer le pays. Malheureusement, ce n’est
pas le cas pour le gouvernement de M. Ariel Henry qui n’a aucune légitimité, aucun mandat et qui concentre
tous les pouvoirs entre ses mains sans aucun contrôle. Haïti a aujourd’hui besoin d’un nouveau leadership,
d’un gouvernement de transition composé de personnalités crédibles, progressistes et engagées dans la
promotion de la démocratie, les droits humains et le respect de l’État de droit. Ce nouveau gouvernement
devrait créer les conditions pour le rétablissement de la sécurité dans le pays et faciliter la tenue d’élections
libres et équitables, permettant ainsi aux hommes et femmes politiques non affiliés à des gangs de se
présenter aux élections et garantissant la liberté de vote de la population et son droit de choisir ses
dirigeants. Seule la mise en place d’un gouvernement de transition crédible permettra aux forces de police
et de sécurité, avec le soutien probable de forces extérieures selon les besoins, de lutter efficacement contre
la violence des gangs et les autres formes de violence qui endeuillent sa population.
Face au constat de ces développements préoccupants de la situation en Haïti et tenant compte de la
« Résolution sur la situation humanitaire et sécuritaire en Haïti » adoptée par l’Assemblée parlementaire
paritaire ACP-UE le 28 juin 2023 à Bruxelles, du cadre autonome de mesures restrictives adopté par le
Conseil de l’Union européenne le 28 juillet 2023 et de la Résolution 2069 autorisant le déploiement d’une
force multinationale adopté par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 2 octobre 2023, la CoEH
interpelle l’Union européenne à appliquer ses valeurs et principes fondamentaux de justice, de démocratie
et de droits humains dans sa politique envers Haïti. Plus spécifiquement, la CoEH demande à l’UE de:
1. Ne plus soutenir le gouvernement illégitime et soupçonné de crimes d’Ariel Henry, mais
plutôt appuyer toute initiative visant à instaurer une nouvelle gouvernance en Haïti, qui doit
passer par la formation d’un gouvernement de transition soutenu par une large majorité de
la société haïtienne.
La CoEH demande à l’UE d’oser changer d’orientation et de stratégies concernant Haïti en
apportant son appui à un processus de construction d’une nouvelle gouvernance en Haïti. La CoEH
conseille à l’UE d’écouter d’autres voix, notamment celles d’une société civile qui exige une
rupture et la participation réelle des Haïtiennes et Haïtiens à la construction de leur propre destin.
Dans cette perspective, nous demandons à l’UE de soutenir un processus de dialogue politique pour
la formation d’un gouvernement de transition et de rupture soutenu par une large majorité de la
société haïtienne et désireux de prendre en mains la gestion du pays sur des bases de justice,
d’équité et d’inclusion et qui soit en mesure d’organiser des élections crédibles.
2. Allouer les ressources nécessaires à une véritable politique de sanctions de l’UE contre les
individus qui soutiennent les gangs, le trafic d’armes, de munitions et de stupéfiants, ainsi
que la corruption en Haiti.
La CoEH prend acte de la volonté exprimée par l’UE dans le cadre autonome de mesures
restrictives approuvé le 28 juillet 2023 à appuyer les sanctions internationales pour lutter contre le
trafic d’armes et de munitions qui endeuille Haïti ainsi que la corruption qui occasionne le
détournement des ressources qui devraient servir à améliorer les conditions de vie de la population.
La CoEH demande à l’UE de contribuer à l’identification de toute personne qui participent à ces
crimes, quelle que soit leur nationalité – européenne, haïtienne, américaine et autres – et d’informer,
en toute transparence, le public sur les faits qui sont reprochés à ces personnes et transmettre leurs
dossiers à la Justice haïtienne pour suivi.
3. Faire preuve de transparence sur les priorités de son action en Haïti et sur les versements
effectués ces deux dernières années au gouvernement haïtien ainsi qu’aux fonds dédiés aux
acteurs de la société civile en Haïti.
La CoEH demande à l’UE de fournir en toute transparence à la société civile haïtienne et aux
citoyens européens des informations sur les aides actuellement accordées au gouvernement de M.
Ariel Henry, les mécanismes de contrôle de ces aides dans un contexte de dysfonctionnement de
toutes les institutions du pays et de soupçon de connivence de ce gouvernement avec les groupes
armés. Nous voulons nous assurer que les ressources des citoyens et citoyennes européens ne
servent pas à alimenter le fonctionnement des groupes armés et le chaos auquel l’on assiste
actuellement en Haïti. En même temps, nous soutenons toute aide qui contribue à mettre en place
des conditions de vie digne pour la population, qui fait la promotion des valeurs fondamentales de
l’UE et qui appuie des stratégies pouvant aider à résoudre définitivement la crise haïtienne.
Pour la COEH,
Christophe Mohni, Coordinateur CoEH
Ornella Braceschi, Présidente Collectif Haïti de France/Membre Comité de pilotage