La Coordination Europe-Haïti (CoEH) alerte sur l’aggravation de la crise sécuritaire et humanitaire en Haïti, où les droits humains sont gravement menacés, notamment pour les femmes et les enfants. La mission internationale de sécurité reste inefficace, tandis que la pauvreté et les déplacements massifs augmentent. La CoEH appelle l’Union européenne à soutenir une transition de rupture, à renforcer les institutions haïtiennes, et à investir dans des solutions durables axées sur la population et la jeunesse. Elle insiste sur l’urgence de répondre aux besoins humanitaires tout en adoptant une approche globale pour briser le cycle de violence et de misère.
Voici le texte de l’appel envoié à l’Union Européenne:
Bruxelles, le 11 novembre 2024
En octobre 2024, la Coordination Europe-Haïti (CoEH) s’est réunie en assemblée générale pour examiner la crise sécuritaire et humanitaire sans précédent qui perdure en Haïti. Nous avons exprimé notre vive inquiétude face à la dégradation continue de la situation, notamment en matière de sécurité, d’accès à une alimentation suffisante, saine et nutritive, d’éducation et de droits humains – en particulier pour les enfants et les femmes victimes de violences basées sur le genre (VBG). Par cette lettre, nous vous lançons un nouvel appel à l’action pour contribuer à une véritable solution qui respecte les aspirations légitimes de la majorité du peuple haïtien.
La Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS), censée aider au rétablissement de la sécurité et à la reprise du contrôle des zones occupées par des groupes armés, se révèle malheureusement insuffisante, sous-équipée, quasiment invisible, sans stratégie clairement définie, et inefficace dans ses actions. Cependant, transformer cette mission en une véritable opération de maintien de la paix des Nations Unies, option actuellement en discussion au Conseil de sécurité, ne constitue pas, à elle seule, la solution.[1] Ce qui manque, c’est une stratégie holistique qui aborde les multiples causes sociales, politiques et économiques de l’insécurité en Haïti et qui propose des actions ciblées pour les combattre. Pour parvenir à une solution durable, il est essentiel d’élargir le concept de sécurité au-delà d’une réponse purement axée sur la force.
En effet, dans ce contexte de violence et de misère généralisée, de nombreuses familles sont contraintes de se déplacer, soit à l’intérieur du pays (où l’on compte en octobre 2024 plus de 700 000 déplacés internes), soit à l’extérieur.[2] Le gouvernement de la République dominicaine, pays voisin le plus proche d’Haïti, a aggravé la situation sécuritaire et humanitaire déjà très difficile en Haïti en décidant de déporter violemment jusqu’à 10 000 personnes par semaine, souvent en se basant uniquement sur la couleur de leur peau.[3]
Face à cette tragédie, le peuple haïtien fait preuve d’une résilience remarquable dans sa lutte pour la survie. La CoEH demeure solidaire de cette population courageuse, mais reste profondément préoccupée pour l’avenir du pays, en particulier pour les enfants, privés de leurs droits fondamentaux, souvent recrutés de force dans des activités criminelles, privés de nourriture ou victimes de violences et d’agressions sexuelles.[4]
Nous sommes aussi alarmés par la perte des moyens de subsistance de nombreuses familles, par les difficultés rencontrées par les paysans pour écouler leurs récoltes en raison des blocages de routes, par la décapitalisation des commerçant·e·s, ainsi que l’effondrement de nombreuses petites et moyennes entreprises, ce qui contribue à l’augmentation de la pauvreté. La détérioration de l’économie haïtienne, marquée par une croissance négative année après année et un fort taux d’inflation (prévu à 26 % pour 2024), constitue un facteur aggravant de la crise.[5]
Devant ces défis gigantesques, la communauté internationale, et tout particulièrement le Core Group, continue malheureusement de soutenir ou même d’imposer une élite politico-économique prédatrice, plus préoccupée par ses propres intérêts que par les besoins urgents de la population. La corruption persiste partout, comme en témoigne le scandale de la Banque Nationale de Crédit (BNC), impliquant directement trois membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), ou encore la nomination de personnes déjà entachées par des scandales au sein de commissions censées conduire le pays vers un avenir meilleur.[6] Le nouvel exécutif – composé du Conseil Présidentiel de Transition et du Premier Ministre avec son gouvernement – ne fait que perpétuer les mêmes pratiques et orientations qui ont mené Haïti dans ce cercle vicieux.
La CoEH réaffirme que le peuple haïtien, mérite mieux et possède la capacité de prendre son destin en main, si on lui en laisse l’opportunité. Il est crucial d’apprendre des erreurs du passé, tout particulièrement de l’intervention après le tremblement de terre de 2010, lorsque des organisations internationales sans connaissance ni expérience d’Haïti avaient créé des structures parallèles éphémères, affaiblissant les institutions étatiques et minant des organisations de la société civile.[7] Cette fois-ci, l’aide internationale doit impérativement renforcer les institutions haïtiennes et les acteurs de la société civile, plutôt que les fragiliser davantage. Il est surtout essentiel de cesser d’imposer des acteurs et des politiques qui ont contribué à maintenir et/ou prolonger cette crise interminable.
Face à la situation dramatique que vit le peuple haïtien, la CoEH lance un appel à l’Union européenne pour appliquer ses valeurs et principes fondamentaux dans sa politique envers Haïti. Plus spécifiquement, la COEH demande à l’Union européenne, de :
- Rester solidaire avec le peuple haïtien, même si le contexte géopolitique actuel impose d’autres priorités. Ne pas demeurer indifférent aux nombreuses violations des droits humains en Haïti, en particulier celles touchant les femmes, les enfants et les migrant·e·s.
- Soutenir activement des initiatives visant une transition de rupture, seule à même de libérer le pays de ce cycle infernal d’échec et de souffrance. Une sortie de crise durable ne sera possible que si dès maintenant une rupture avec les vieilles pratiques est amorcée et si de nouveaux acteurs et de nouvelles orientations sont choisis pour briser ce cycle destructeur.
- Débloquer des fonds substantiels pour aider Haïti, tant le gouvernement que les organisations de la société civile haïtienne, à faire face à la crise humanitaire et aux immenses défis auxquels le pays est confronté. La réponse sécuritaire préconisée actuellement et qui est axée prioritairement sur une intervention de forces, à elle seule ne résoudra pas le problème d’insécurité dans le pays.
- Soutenir tout particulièrement des initiatives orientées vers les jeunes, notamment l’accès à l’éducation, pour leur offrir d’autres choix que celui de rejoindre les gangs armés ou de partir à l’étranger. Nous encourageons également l’UE à continuer à soutenir des actions qui apportent un soulagement à la souffrance du peuple haïtien et la reprise des activités économiques des paysans, des petites et moyennes entreprises et des commerçants.
Pour la COEH,
Christophe Mohni Ornella Braceschi
Coordinateur CoEH Présidente Collectif Haïti de France/Membre Comité de pilotage
[1] International Crisis Group: Weighing the Case for a New Peacekeeping Mission to Haiti, 01.11.2024, https://www.crisisgroup.org/latin-america-caribbean/caribbean/haiti/weighing-case-new-peacekeeping-mission-haiti
[2] International Organization for Migration (IOM): Haiti Situation Report September 2024, 15.10.2024, https://haiti.iom.int/sites/g/files/tmzbdl1091/files/documents/2024-10/2024-09_sitrep.pdf
[3] Associated Press: Dominican Republic starts mass deportations of Haitians and expels nearly 11,000 in a week. 8.10.2024, https://apnews.com/article/dominican-republic-deportations-haiti-0e46f10ca79a34d05f9ff0cf5e00a971
[4] Human Rights Watch: Haïti : Des enfants pris au piège de la violence criminelle et de la faim. 9.10.2024, https://www.hrw.org/fr/news/2024/10/09/haiti-des-enfants-pris-au-piege-de-la-violence-criminelle-et-de-la-faim
[5] International Monetary Fund: World Economic Outlook Haiti (October 2024), https://www.imf.org/external/datamapper/profile/HTI
[6] Associated Press: Investigators in Haiti accuse three members of transitional presidential council of corruption, 2 October 2024, https://apnews.com/article/haiti-corruption-council-bank-902994c1b5d43865a3e220bf4093e45a
[7] Voir Frédéric Thomas, L’échec humanitaire. Le cas haïtien. Bruxelles 2013 et Jake Johnston : Aid State: Elite Panic, Disaster Capitalism, and the Battle to Control Haiti. New York 2024.