La Coordination Europe Haïti (CoEH) salue la nomination de M. Garry Conille comme nouveau Premier ministre d’Haïti et de son cabinet, composé de figures nouvelles et familières. Bien que la formation de cette équipe ait été marquée par des négociations controversées et un manque de transparence, soulevant des inquiétudes sur l’avenir et la souveraineté du gouvernement, M. Conille semble être qualifié pour le poste. Il a réussi à former un gouvernement relativement inclusif avec des femmes, des jeunes et des membres de la diaspora, tenant ainsi, du moins en partie, sa promesse de donner à ce gouvernement un caractère plus large. Malgré les préoccupations sur certaines nominations et l’influence internationale, de nombreux citoyens sont soulagés de voir enfin à la tête du pays une nouvelle direction qui se prépare à relever les immenses défis qui l’attendent. Après l’accélération de la spirale de violence qui a fait de nombreuses victimes au cours de ces deux dernières années et appauvri davantage le pays, la nomination de ce nouveau gouvernement représente au moins une petite lueur d’espoir pour un avenir meilleur.[1]
Les défis auxquels le nouveau gouvernement doit faire face sont immenses, notamment l’insécurité. M. Conille s’est engagé à lutter contre les gangs et à rétablir l’autorité de l’État dans les « territoires perdus ». La Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS), dirigée de manière opaque par les États-Unis avec un soi-disant leadership kényan, suscite cependant des inquiétudes. Les détails de la mission restent flous même pour les fonctionnaires haïtiens, et des questions persistent quant à ses objectifs, à sa responsabilité, et au risque de reproduire les échecs passés. D’autant que l’on n’en sait guère plus à ce jour, si ce n’est que les membres de la MMAS disposent de privilèges importants et d’une immunité étendue.[2] Le succès de cette mission dépend d’une collaboration transparente avec les institutions haïtiennes et la population, ce qui a été négligé de manière flagrante jusqu’à présent. En outre, il est crucial de s’attaquer aux causes de l’insécurité et de la prolifération des armes plutôt que de compter uniquement sur une intervention militaire.[3]
Le gouvernement de transition doit urgemment gérer la crise humanitaire, qui affecte tout particulièrement les plus de 500 000 personnes déplacées dans le pays, selon l’OIM.[4] Il est en outre crucial de se préparer aux potentielles catastrophes durant la saison cyclonique, étant donné la destruction des infrastructures et le dysfonctionnement des institutions publiques, qui ne pourront pas être réparées rapidement. L’Union Européenne peut jouer un rôle significatif dans la gestion de la crise humanitaire, en particulier en soutenant les provinces ayant accueilli de nombreux déplacés. Il est essentiel que l’aide humanitaire renforce les institutions étatiques et les acteurs de la société civile haïtienne, pour éviter les erreurs de l’intervention après le tremblement de terre de 2010. À cette époque, des organisations internationales sans connaissance ni expérience en Haïti avaient créé des structures parallèles éphémères, affaiblissant les institutions étatiques et brisant des organisations de la société civile.[5]
Il est crucial de saisir l’occasion pour aider les Haïtiens à redéfinir les priorités de leur État et réorganiser les institutions publiques en plaçant les besoins de la population civile au centre des préoccupations. Des réformes, notamment la décentralisation prévue par la Constitution de 1987, sont nécessaires pour redistribuer les richesses et fournir des moyens financiers aux régions et au milieu rural.[6] La crise récente a démontré que le centralisme haïtien entrave le développement des régions, malgré la résilience impressionnante des populations provinciales qui ont continué à fonctionner malgré les grandes difficultés d’approvisionnement.
Enfin, nous souhaitons attirer l’attention de l’UE sur l’organisation des élections, un point central du mandat du gouvernement de transition. L’UE pourrait contribuer à la préparation et à l’observation des élections pour garantir un processus de vérification transparent des candidats et un débat politique inclusif, même dans les régions reculées. Cela permettrait de respecter la volonté du peuple haïtien et la souveraineté du pays, sans que les intérêts internationaux, notamment ceux des États-Unis, ne déterminent les résultats, comme cela a été le cas lors de plusieurs élections récentes.[7]
Face à ces défis auxquels le gouvernement de transition haïtien doit faire face, la CoEH appelle l’Union européenne à appliquer ses valeurs et principes fondamentaux de justice, de démocratie et de droits humains dans sa politique envers Haïti. Plus spécifiquement, la COEH demande à l’UE et ses États membres de :
- Prévoir des fonds importants pour aider Haïti à faire face à la crise humanitaire et à relever les défis comme la sécurité alimentaire et l’éducation, est essentiel pour soutenir le processus de transition, au-delà des problèmes de sécurité.
- Approfondir les échanges avec la société civile haïtienne concernant les politiques et actions de l’UE en Haïti, tout en assurant une transparence totale sur l’aide européenne, notamment l’aide budgétaire. Exiger également du gouvernement de transition qu’il rende compte de manière transparente de l’utilisation de ces fonds.
- Agir au sein des Nations Unies et du Core Group pour mettre fin au secret entourant la MMAS et assurer que la population haïtienne soit informée de manière transparente sur ses objectifs, ses règles d’engagement et ses responsabilités tout particulièrement en matière de respect des droits humains.
- Soutenir la préparation et l’observation des élections pour garantir le respect de la volonté du peuple haïtien et de la souveraineté du pays. L’UE pourrait par exemple faciliter l’inscription de tous les Haïtiens sur les listes électorales et assurer l’accès aux bureaux de vote dans toutes les régions, y compris les plus reculées.
- Appuyer la mise en place d’une Commission de Vérité et de Justice en Haïti pour enquêter sur le fonctionnement des gangs et identifier leurs soutiens, afin de rendre justice aux victimes, notamment les femmes et les filles ayant subi des agressions sexuelles.
- Contribuer à la mise en place d’une politique efficace de lutte contre le trafic d’armes et de munitions en Haïti en soutenant tout particulièrement le respect des sanctions contre les individus impliqués.
Pour la COEH,
Christophe Mohni Ornella Braceschi
Coordinateur CoEH Présidente Collectif Haïti de France/Membre Comité de pilotage
[1] Colette Lespinasse, Haïti, un nouveau gouvernement enfin en place, 14.06.2024, https://www.coeh.eu/fr/haiti-un-nouveau-gouvernement-enfin-en-place/
[2] Robenson Geffrard: Haïti et le Kenya signent l’accord sur le statut de la Mission multinationale, Le Nouvelliste 21 juin 2024, https://lenouvelliste.com/article/248778/haiti-et-le-kenya-signent-laccord-sur-le-statut-de-la-mission-multinationale
[3] Pierre Espérance, U.S. Military Planes Are in Haiti. Haitians Don’t Know Why. Foreign Policy, 13.06.2024, https://foreignpolicy.com/2024/06/13/haiti-gangs-violence-us-military-planes-international-security-mission-kenya/
[4] Organisation Internationale pour les Migrations (OIM): Haiti Situation Report May 2024, 11.06.2024, https://haiti.iom.int/sites/g/files/tmzbdl1091/files/documents/2024-06/2024-05_sitrep.pdf
[5] Voir Frédéric Thomas, L’échec humanitaire. Le cas haïtien. Bruxelles 2013 et Jake Johnston : Aid State: Elite Panic, Disaster Capitalism, and the Battle to Control Haiti. New York 2024.
[6] Constitution d’Haïti du 29 mars 1987, Titre V, Chapitre I : Des Collectivités territoriales et de la Décentralisation, Art. 61 à 87, https://www.haiti-reference.info/pages/plan/histoire-et-societe/documents-historiques/constitutions/1987-texte/
[7] Johnston 2024