L’historique
En octobre 2014, le président Martelly a lancé officiellement le projet AGRITRANS, par la mise à terre des premières plantules de bananes organiques à Trou du Nord. L’idée avait été lancée en novembre 2013 et le principal responsable de l’entreprises était Jovenel Moïse, entretemps devenu président du pays depuis janvier 2017.
Le projet visait la production de bananes organiques destinées à l’exportation et 3.000 paysans de la zone étaient impliqués dans le projet. Une première surface de 400 ha des 1.000 ha prévues, a été libérée pour ce projet et les paysans ont été expropriés de leur terres pour devenir, en compensation, des actionnaires de l’entreprise. Les investissements pour la préparation des terres venaient du consortium FEPA/Agritrans et permettaient de disposer de matériels modernes, d’un lac artificiel et de pompes à irrigation. Une création de 3.000 emplois était prévu. Le coût total du projet s’élevait à 27 millions de dollars et le Fonds de Développement Industriel (FDI) intervenait pour 6 millions de dollars Américains. Pour le renforcement de Agritrans un montant additionnel de 15 millions de dollars ont été avancés aussi.
Le projet concernait une plantation de bananes comme projet agro-industriel en zone de libre-échange, pour exportation, ce qui veut dire sans paiement de taxes d’exportation, ni de frais de douanes ou impôts sur les investissements et cela pendant plusieurs années. Cela signifie aussi que 70% doit être destiné à exportation et 30% destiné pour le marché local. Agritrans dispose des terres des paysans pendant au moins 25 ans.
Le 8 septembre 2015 la première cargaison de bananes organiques laissait le port de Cap Haïtien en direction de Hambourg, Allemagne. En avril 2016 une deuxième cargaison a été préparée pour expédition vers l’Allemagne. Depuis lors, il y a un silence complet autour de l’entreprise et l’initiative.
Curieux de savoir comment évolue ce projet et quel est le point de vue des paysans de la zone, liées ou non d’une certaine manière au projet, nous avons pris l’initiative de laisser les paysans s’exprimer sur cette initiative. Une première rencontre a eu lieu en janvier 2017 avec des paysans à Capotille et une deuxième en mars 2017, cette fois avec un groupe de JILAP situé tout près du projet à Trou du Nord.
Les impressions des paysans de la zone :
- ‘Il s’agit d’un beau projet. Nous n’y sommes pas directement impliqués ni n’en avons des avantages, mais d’autres bien. Peut-être qu’un tel projet s’installera un jour aussi dans notre zone. Le plus grand problème pour nous est l’irrigation des bananeraies. Ce grand projet n’a pas ce problème, car là on dispose d’un grand lac et des installations d’irrigation. Si nous pourrions avoir aussi un encadrement et des installations comme celles-là, ce serait fantastique. Si les autres leaders auraient pris des initiatives pareils, nous ne serions pas dans la misère aujourd’hui. Espérons qu’il y ait d’autres projets et qu’ils soient meilleur que celui-ci.’
- ‘Les meilleurs produits sont exportés. Sur le marché local sont vendus les bananes non qualifiées, déformées ou abimées. Nous avions espéré que ce projet serait avantageux pour notre zone, mais c’était une fausse espérance. Même les jeunes qui étaient emballés au début, sont déçus maintenant. Le système de roulement pour l’emploi permet de travailler dans le projet durant quatre jours par mois seulement et le salaire est minime, seulement 200 gourdes par jour. Jusqu’à ce jour le résultat est pauvre. Le projet a perdu beaucoup de son aurore depuis que Jovenel Moise a quitté la gestion. Les ouvriers ne sont pas payés régulièrement, les salaires ont diminués, il y a des fraudes, etc.’
- ‘Les terres étaient pauvres mais les paysans y habitaient. Lors de l’arrivée du projet, les terres ont été labourées et les maisons détruites. Les habitants attendent toujours l’indemnisation.’
- ‘Le projet ne garantit pas un encadrement des paysans de la zone et n’aide pas à développer l’agriculture dans la région. Les plants des bananes sont cultivés dans un laboratoire. Pourquoi est-ce qu’on ne vend pas ses plants à nous ? Le projet est un circuit très fermé, il n’y a pas de collaboration avec les paysans de la zone. Nous aimerions nous aussi cultiver des bananes pour l’exportation…’
- ‘Cela fait penser au temps de l’esclavage : une plantation bien clôturée où le pauvre paysan peut venir travailler pour un salaire de faim et le grand propriétaire gagne bien.’
- ‘Le bénéficie qui se fait n’aide pas la région, car sauf quelques cadres haïtiens, il s’agit surtout d’étrangers avec de gros salaires et des 4×4, avec des privilèges pour le logement et l’équipement. AU fond, des millions ont été dépensés et tout le monde peut voir que le rendement n’est pas en proportion. Ce projet n’apporte en rien à la population locale et aux paysans ont dû quitter leurs terres.’
Une autre personne interrogée dit que le projet est une bonne chose. Seulement quelques paysans ont perdu leur maison ou leur terre, qui n’était pas très fertile.
- ‘Il y a des informations diverses qui circulent. C’est parce que le projet a été utilisé pour des buts politiques. Dans des discours on a raconté que le projet créerait de l’emploi pour 3.000 personnes, mais en réalité même pas 300 personnes par mois y trouvent du travail et encore dans un système de roulement. Il y a beaucoup de rumeurs et il est difficile de savoir ce qui est vrai et pas vrai. En tant que pauvres paysans il est difficile d’avoir accès à la bonne information, par exemple pour savoir quelle quantité de bananes est vraiment exportée, et combien la production a coutée. Mais je ne doute pas que les bénéfices vont dans les poches des riches.’
- ‘C’est étonnant qu’un tel projet n’a pas de bureau dans la zone et ne donne pas d’information. Pour pouvoir y travailler il faut connaître quelqu’un de l’intérieur. ‘
Pourquoi existe-t-il de l’enthousiasme concernant le projet et pourquoi Jovenel jouit-il d’une grande popularité ?
- ‘On peut avoir beaucoup de questions sur le projet et le manque d’information. Mais c’est la première fois qu’il y a un président qui s’intéresse à l’agriculture et qui fait quelque chose dans le secteur. C’est pourquoi ‘nèg bannann’ jouit de la popularité.’
- ‘Ce serait bien si les paysans étaient plus impliqués et plus écoutés pour des projets.’
- ‘Jovenel mérite d’avoir une chance. Il ne peut pas hésiter maintenant, il doit avancer. Sinon il tombera du socle. Les paysans ont massivement voté pour lui parce qu’ils le considèrent comme ‘un de nous’. Ils espèrent qu’il va créer du travail pour eux dans le pays. En plus, il n’est pas ‘un bourgeois de Port-au-Prince’. Beaucoup de gens qui ont voté pour lui, l’ont fait parce qu’ils sont contre l’élite politique de Port-au-Prince.’
- ‘Jovenel a été responsable pour plusieurs projets qui ont connu des succès. La majorité des haïtiens sont paysan ou de descendance paysanne et sont content d’avoir pu voter pour quelqu’un qui attache de l’importance à l’agriculture.’
Dans quelle mesure s’agit-il oui ou non d’un signe d’espoir pour Haïti ?
- ‘Tout est cadré dans une dimension politique. Être pour ou contre le projet signifie être pour ou contre le PHTK ou le président. ‘
- ‘Il faut une continuité et finir avec l’humiliation de devoir importer des bananes de la République Dominicaine. Nous espérons que pour Jovenel il ne s’agissait pas seulement d’une question de pouvoir. ‘
- ‘Il y a un certain espoir, car maintenant une telle plantation est à nouveau possible dans notre pays. Nous pouvons entrer en compétition avec la République Dominicaine, ce qui est bon.’
- ‘Et ce qui est important aussi : pour le futur un signe important est donné pour les prochains candidats à la présidence : il faut faire des choses dans l’agriculture, sinon, aucune chance. Mais de préférence d’une meilleure façon que le projet de bananes de Jovenel.’
Un paysan de la FEPAP donne des informations complémentaires à la fin de la deuxième réunion et clarifie certains points :
‘Lorsque l’état exigeait les terres il a été demandé aux paysans concernés de s’organiser. 8 associations ont été créées avec environ 1.000 membres chacune. Les 8 associations ont formé la Fédération des Planteurs Agricoles de Pisince (FEPAP) qui compte entre 7.000 et 8.000 membres. Il a été convenu que seulement les membres de FEPAP peuvent travailler comme ouvrier dans la plantation. Au début pour la préparation des terres et les premiers travaux de planter on comptait environ 2.000 ouvriers par mois, dans un système de rotation. Maintenant ce nombre a diminué à 300 par mois. AU début de la prochaine saison un plus grand nombre sera accepté pendant quelques mois. Le projet décide de jour à jour combien de paysans peuvent travailler et chacun peut travailler seulement 1 jour par semaine. Le salaire est de 260 gourdes par jour, équivalent au salaire dans le parc industriel. 5% est retenu pour la fédération.
Le projet offre des avantages pour beaucoup de paysans qui avant devaient aller en République Dominicaine. Il n’y avait pas de production de bananes dans la région. On a promis que les 8 associations recevront 20% du bénéfice du projet pour des initiatives sociales, comme p.ex. la construction d’école. Le projet existe maintenant depuis 4 ans et il n’y a pas encore de bénéfice, mais nous sommes patients.
Maintenant de nouveaux plants seront mis à terre pour la prochaine saison. Nous n’avons pas d’information sur la quantité qui a été vendue ni sur le prix. Pour autant qu’on sache il y aurait eu 19 containeurs partis pour l’Allemagne.’
Situation actuelle de la plantation
Le 17 mars 2017 une équipe du journal ‘Le Nouvelliste’ a voulu visiter la plantation AGRITRANS. Ils ont constaté une assez forte dégradation de la plantation. Ils ont été menacés par les gardiens et empêchés de faire des photos ou de filmer. Il n’y a plus eu d’exportation depuis le 6 juillet 2016. Les commentaires des responsables de la plantation sont : ‘la ferme est en friche, mais derrière il y a une stratégie’. Ils parlent d’un ‘sacrifice rentable’ en perdant quelque 6% des investissements dans l’attente d’un meilleur rendement. (http://lenouvelliste.com/article/169451/detruire-les-anciens-plants-de-banane-est-un-sacrifice-rentable-selon-le-president-dagritrans ).