Ce weekend encore, plus précisément ce samedi 19 septembre, des attaques ont été perpétrées par des groupes armés à l’encontre de la population du Bel Air, un des plus anciens quartiers de Port-au-Prince, situé non loin de la cathédrale de Port-au-Prince et à proximité du Palais National. Depuis la fin du mois d’août 2020, c’est la quatrième attaque qu’a subie ce quartier. Au vu et au sus de tous, des groupes armés ont investi le quartier, incendiant des dizaines de maisons, obligeant de nombreuses familles à fuir leurs résidences avec souvent des enfants en bas âges sous les bras et sans avoir le temps de sauver quelque chose. Ces victimes sont aujourd’hui éparpillées un peu partout dans les quartiers avoisinants et plusieurs dorment à la belle étoile sur la grande place du Champs de mars, dans les parages du palais. Le plus désolant, c’est l’indifférence des autorités de l’Etat qui n’ont jusqu’ici rien fait pour freiner ces barbaries. Les familles victimes n’ont trouvé jusqu’ici aucun support de la part de l’Etat pour être relogées ou pour se nourrir. La police fait peu ou rien du tout, tandis que la communauté internationale présente en Haïti garde un silence complice sur toutes ces barbaries.
A chaque attaque, le nom du même personnage revient comme auteur et organisateur de ces exactions. Selon tous les témoignages, c’est le fameux ex-policier Jimmy Chérisier, alias Barbecue, qui a mené ces attaques avec ses troupes venues de plusieurs zones. Selon les gens du Bel Air, Barbecue qui coordonne les groupes armés regroupés sous le nom G-9 et alliés, veut avoir le contrôle de leur quartier. Face au refus des habitants, dont des policiers vivant dans la zone, M. Chérisier, avec la bénédiction du pouvoir, aurait procédé à ces attaques pour obliger les habitants à vider les lieux. Les pertes sont incommensurables et les traumatismes très graves.
Le plus étonnant c’est l’indifférence affichée par les autorités de l’Etat. Pour l’attaque de ce samedi, l’on parle de deux morts. Pour celles perpétrées depuis fin aout, on parle de plusieurs morts, sans que personne ne sache exactement encore le nombre de victimes réelles. Le plus inquiétant, c’est qu’à date, aucune information de la part de la police ni d’une structure de l’Etat sur ce qui se passe dans ce quartier et sur le nombre de victimes n’a été rendue publique.
La Police qui devrait protéger la population est complètement désarticulée et démotivée en raison de nombreuses revendications non satisfaites. Dans la foulée, il s’est formé au sein de la police un groupe dénommé Fantôme 509 qui utilise la violence pour faire passer ses revendications. Le samedi 12 septembre ils sont sortis avec fracas dans les rues et ont forcé à la libération de quatre policiers arrêtés dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du bâtonnier de l’ordre des avocats. Ils étaient aussi sortis dans les rues au cours de cette présente semaine pour réclamer la libération de policiers syndicalistes emprisonnés.
C’est dans ce contexte, que le président de la république a publié durant le même weekend un décret annonçant la formation d’un conseil électoral provisoire pour organiser non seulement des élections, mais aussi un referendum pour l’adoption d’une nouvelle constitution. Le président s’est donné tous les pouvoirs, car selon l’actuelle constitution le conseil électoral doit être indépendant du pouvoir exécutif et ne peut en aucune façon être nommé par lui. Utilisant des divisions au sein de certains secteurs, il a pu grappiller pour trouver des adhérents à son projet. C’est le cas pour les cultes réformés, le secteur Vodou et les droits humains. Pour le reste(le conseil a 9 membres), le président a choisi lui-même les secteurs, voire les personnes, alors que dans le passé tout cela se faisait sur la base d’un consensus entre les acteurs politiques. La plupart sont de parfaits inconnus et il est difficile de savoir qui les a choisis vraiment.
La composition de ce nouveau conseil électoral fait déjà couler beaucoup d’encre et de salives en raison de la présence en son sein d’un membre bien connu du secteur des droits humains. Il s’agit de Mme Guylande Mesadieu, fondatrice de Zanmi Timoun. Elle est la femme de M. Antonal Mortimé, ex secrétaire général de la POHDH(Plateforme des Organisations Haïtiennes de Droits Humains), et lui coordonnateur d’une autre organisation « Defenseurs Plus ». Antonal s’était brouillé, il y a quatre ans, avec d’autres groupes de droits humains lors du choix du dernier conseil électoral qui a récemment démissionné. L’opposition et beaucoup d’autres secteurs tombent des nues en voyant la présence de cette femme dans un tel conseil. C’est un grand coup contre le secteur démocratique et pour les organisations de droits humains de manière générale, pensent plus d’un.
La formation de ce nouveau conseil électoral a été rendue publique seulement quelques jours après une sorte d’injonction faite par le Département d’Etat américain et repris dans un tweet de l’ambassadeure des Etats-Unis en Haïti, Mme Simpson. Selon ce tweet, l’ambassadeure a exigé du président haïtien la formation rapide du Conseil électoral et a menacé de « sanctions » tous les gens de l’opposition qui s’y opposeraient. Ce tweet est très critiqué dans différents milieux qui le considèrent comme insultant. Mais c’est un témoignage éloquent du niveau d’ingérence des Etats-Unis dans les affaires d’Haïti.
La formation, sans consensus, de ce nouveau conseil inaugure des jours encore plus sombres pour le pays. Comment ce conseil parviendra-t-il à organiser des élections dans un contexte aussi survolté avec la présence un peu partout de groupes armés qui font la loi et le refus de pratiquement tous les partis politiques de l’opposition d’y participer ? Le président de la République et son parti politique PHTK ainsi que les Etats-Unis et une certaine communauté internationale, veulent coute que coute imposer leurs élections a Haïti pour pouvoir prétendre de l’existence d’une démocratie dans le pays et justifier leur présence ainsi que les fonds qu’ils dépensent au nom d’Haïti. Selon certains analystes, les élections aux Etats-Unis seraient pour quelque chose aussi dans cet empressement de vouloir organiser coute que coute des élections en Haïti dans un contexte où toutes les institutions sont complètement démobilisées ou non fonctionnelles. Entretemps, c’est un pouvoir dictatorial qui se renforce avec des massacres en série contre une population sans défense et la destruction de toutes les institutions démocratiques.